Suis-je la plus stupide dans la salle? La vie d’une rédactrice technique

Vicki Lynn Cove est une rédactrice technique professionnelle et gardienne de chats amateur de la Nouvelle-Écosse, qui vit en Californie. Elle est titulaire d’un baccalauréat en sciences avec spécialisation en biologie et mineure en littérature anglaise de l’Université Queens, de Kingston (Ontario), et d’un diplôme d’études supérieures en Sciences géographiques du Centre des sciences géographiques de Lawrencetown (Nouvelle-Écosse). Dans ses temps libres, Vicki Lynn aime escalader les rochers fermement attachée au bout d’une corde, se lancer dans des projets de tricot tout à fait inappropriés pour le climat du sud de la Californie et expliquer le système parlementaire de Westminster aux Américains. Vicki Lynn a des opinions bien arrêtées sur une grande variété de sujets. Par ailleurs, les opinions exprimées dans le présent article n’engagent qu’elle et ne représentent pas celles du gouvernement du Canada ou de ses collègues.

Ma première véritable expérience dans l’industrie de la technologie a été de passer les douanes. J’étudiais les systèmes d’information géographique au Centre des sciences géographiques depuis huit mois et je venais de décrocher une entrevue auprès d’une entreprise californienne, qui avait conçu la plupart des logiciels que j’utilisais à l’école. Lorsque je me suis présentée aux douanes à Toronto pour le prédédouanement, l’agent m’a demandé où j’allais.

Je lui ai répondu : « En Californie, je dois me rendre à une entrevue d’emploi avec une entreprise de logiciels de cartographie. »

Il m’a alors demandé d’un air stupéfait : « Tu as décroché une entrevue avec une entreprise de logiciels? »

Je lui ai donc affirmé que c’était bien le cas.

Il ne semblait pas convaincu, mais il a quand même estampillé mon passeport avant de me lancer : « D’accord, bienvenue aux États-Unis. »

Il est difficile de déterminer d’après cette courte interaction ce que l’agent pensait réellement. Peut-être était-ce son comportement habituel. Toutefois, il semblait plutôt surpris que j’aie obtenu une entrevue pour un emploi dans le domaine de la technologie au sein d’une entreprise de logiciels. Son expression pouvait davantage se traduire par « je suis vraiment étonné que quelqu’un ait retenu ta candidature, tu n’as vraiment pas le profil de l’emploi », que par « je suis vraiment content pour toi et j’espère que tu décrocheras le boulot ». J’étais déjà passablement nerveuse de passer mon entrevue, puisque ma seule expérience dans le domaine de la technologie se résumait à mes huit mois intenses d’études supérieures que j’ai commencé par apprendre ce que signifie SIG et fini par postuler pour un emploi au sein de la plus importante entreprise de SIG au monde. Même si l’agent des services frontaliers ne me connaissait pas et qu’il ne savait rien de l’expérience que j’avais ou de l’emploi pour lequel je postulais, son jugement m’a marqué. Je n’étais probablement pas assez bonne. Je n’avais probablement rien à offrir.

Six mois plus tard, je me retrouvais assise à ma première réunion d’équipe, à mon nouvel emploi, et je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Je ne comprenais même pas les mots que mes collègues utilisaient. Je n’étais certaine que d’une seule chose : j’étais la plus bête dans la salle.

Après avoir passé presque deux ans à ce poste, j’aimerais pouvoir remonter le temps pour assister à nouveau à cette réunion et comprendre de quoi il était question. Probablement que je saurais exactement de quoi il retourne. Malheureusement, je ne peux pas revivre cette réunion et j’ai toujours le sentiment d’être la plus bête dans la salle. Ce sentiment a persisté pendant longtemps et il en est probablement ainsi pour un grand nombre de femmes qui travaillent dans ce domaine : le sentiment de ne pas être à notre place et de ne pas être assez bonne. Peu importe que l’entreprise pour laquelle je travaille ait un effectif inclusif et diversifié ou que ses pratiques d’embauche ne ressemblent en rien à celles de Silicon Valley lorsqu’il est question des femmes ou des personnes de couleur. Peu importe que mes collègues et mes superviseurs me soutiennent. Ce sentiment m’a hanté durant presque toute ma vie et il se renforce chaque fois qu’une personne me regarde surprise en me disant « Tu travailles pour une entreprise de technologie? »

Oui, je travaille pour une entreprise de technologie. Oui, j’accomplis aussi un excellent travail. À l’instar de toutes les autres femmes que je connais qui travaillent dans le domaine des STIM.

Je ne suis pas la plus stupide dans la salle. Nous ne sommes pas les stupides dans la salle. 

J’ose espérer que je fais partie de la dernière génération de femmes qui doivent se le rappeler.

Vicki Lynn au parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton contemplant le golfe nt-Laurent et la piste Cabot.

Vicki Lynn au parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton contemplant le golfe nt-Laurent et la piste Cabot.