À la recherche des premières manifestations de la vie dans l’Arctique canadien

Texte et photos de Vivien Cumming – @drvivcumming

Cela fait une semaine que nous séjournons dans l’Arctique canadien. Le bilan est impressionnant! Nous avons franchi le cap des 1 000 piqûres d’insectes depuis longtemps déjà. Plus de 250 échantillons de roche ont été prélevés. Nous avons avalé 63 repas de nourriture déshydratée. Et la liste se poursuit : trois blessures mineures, aucune blessure grave. Nous avons pêché quatre poissons et aperçu plus de 20 caribous, aucun ours, un orignal et un loup.

En été, la toundra polaire de l’Arctique canadien se transforme en foyer de reproduction de moustiques et en terrain de jeux pour géologues et caribous. C’est l’endroit idéal pour étudier l’histoire de la Terre. Règle générale, le sol rocheux est à peu près dépourvu de terre et de végétation. Le nord du Canada réserve des découvertes géologiques parmi les plus palpitantes de la planète.

Nous sommes aux abords de ce paysage, à l’extrême limite de la forêt boréale. Ici, il y a encore de la terre et des arbustes. Adrian, notre garde-faune inuit (qui nous protège contre les ours), indique la présence de plants de bleuets et de pistes de caribous. Malheureusement, nous sommes à la fin juillet et les bleuets ne seront mûrs qu’à l’automne; ce qui n’est pas le cas des moustiques!

Des maringouins au-dessus des eaux bleues du secteur occidental des lacs Dismal
Des maringouins au-dessus des eaux bleues du secteur occidental des lacs Dismal - Vivien Cumming

Chaque jour, nous nous réveillons en priant pour qu’il fasse frais et que le vent se lève pour chasser les maringouins qui nous accablent. Nos prières sont parfois exaucées, mais pas tout le temps. Il y a des jours où le ciel est magnifiquement bleu sans la moindre brise. Les lacs Dismal où nous campons ne portent pas bien leur nom car ils n’ont rien de lugubre. Reflétant l’azur du ciel, leur eau est d’un bleu pur. C’est une invitation à la baignade, mais il suffit d’y plonger un orteil pour vite changer d’idée. Les eaux glaciales nous rappellent discrètement que nous sommes dans l’Arctique.

C’est sans doute l’un des rares endroits dans le monde où je préfère être fouettée par le vent froid de l’Arctique plutôt que de subir les piqûres incessantes des maringouins pendant ces chaudes journées d’été. Aucune partie de mon corps n’est épargnée. Peu importe l’épaisseur et le nombre de couches de vêtements que j’enfile, ils arrivent à me piquer! L’évolution ici les a sans doute faits plus robustes pour les rendre capables de piquer la peau coriace du caribou. Nulle part ailleurs dans le monde me suis-je fait piquer par un maringouin à travers mon épais pantalon imperméable en Gore-Tex!

Un de ces maringouins qui semblent capables de piquer à travers l’étoffe d’un pantalon en Gore-Tex
Un de ces maringouins qui semblent capables de piquer à travers l’étoffe d’un pantalon en Gore-Tex. – Vivien Cumming

Nous sommes à environ 80 km au sud-ouest du hameau inuit de Kugluktuk situé sur la côte de l’océan Arctique. C’est là que prendra fin notre parcours de lacs et de rivières de 200 km. La végétation devient plus éparse à mesure que nous allons vers le nord. Dans cette partie du Canada, nous devons traverser les marais de la toundra pour nous rendre jusqu’aux affleurements rocheux qui nous intéressent.

Du sommet d’une montagne des environs, nous apercevons ce qui nous a attirés ici. Des couches de roches sédimentaires anciennes se succèdent d’un escarpement à l’autre, à perte de vue. Ces formations inclinées par les mouvements tectoniques dominent de grandes parties du nord du Canada.

À perte de vue, des escarpements rocheux formés de sédiments qui se sont déposés sous mer il y a plus d’un milliard d’années
À perte de vue, des escarpements rocheux formés de sédiments qui se sont déposés sous mer il y a plus d’un milliard d’années. – Vivien Cumming

Les scientifiques de la Commission géologique du Canada devront traverser un marais après l’autre pour échantillonner les couches rocheuses dont chacune est une capsule-mémoire des conditions marines d’il y a plus d’un milliard d’années.

Corentin Loron de l’Université de Liège en Belgique est à la recherche de couches de chert qui contiennent des microfossiles pouvant nous renseigner sur l’origine de la vie. On sait que les roches datant de plus d’un milliard d’années contiennent des preuves de l’apparition de formes de vie plus complexes que les organismes unicellulaires qui existaient au tout début. Corentin trouve l’une de ces couches riches en fossiles et soulève une roche dure de couleur sombre. Il explique qu’elle contient vraisemblablement des espèces de fossiles qu’aucun scientifique n’a encore jamais vues. « Ce qui me passionne, c’est de chercher à savoir quand et comment la vie s’est diversifiée, à quoi ressemblait le monde il y a un milliard d’années et sous quelle forme la vie se manifestait à l’époque. »

Corentin Loron, étudiant au doctorat, examine le sol rocheux
Corentin Loron, étudiant au doctorat, examine le sol rocheux. – Vivien Cumming

Nous avons passé notre première semaine dans l’Arctique sur les berges des lacs Dismal, à étudier les roches sédimentaires remontant à plus d’un milliard d’années en bordure des lacs et dans les montagnes des alentours. Il s’agit de la première partie de notre voyage à remonter dans le temps jusqu’à une époque où les premières manifestations de la vie sur Terre ont commencé à prendre de l’ampleur sous la menace des éruptions volcaniques qui rendaient la vie difficile.

Le lever a lieu chaque matin vers 7 heures. Au menu : du gruau. Nous partons explorer le territoire et passons toute la journée à marcher dans la toundra, à prélever et mesurer des échantillons de roche et à prendre des notes. Chacune des couches de roche sédimentaire se lit comme un livre qui raconte l’histoire de la jeunesse de la Terre.

À midi, nous mangeons du saucisson, du fromage, des pommes et un mélange randonneur. Nous rentrons vers 18 h et prenons un repas d’aliments déshydratés reconstitués. Tout est délicieux lorsqu’on passe tant de temps dehors. En soirée, grâce à la lumière de l’été, nous passons du temps à travailler à la rédaction de nos observations, à jouer aux cartes ou à dormir lorsque la journée a été particulièrement éprouvante. C’est un mode de vie simple, il ne peut en être autrement. Le grand confort n’a pas sa place ici. La nature est notre maison. Je suis persuadée d’ailleurs que la plupart des membres du groupe s’accorderont pour dire qu’il n’y a rien qui puisse se comparer à la vie dans la nature, loin de chez soi, à accueillir ce que Mère Nature nous réserve.

Les canots abordent l’hydravion. Il y a tant de lacs dans le Nord qu’on en choisit un au hasard, on se pose et on monte le camp.
Les canots abordent l’hydravion. Il y a tant de lacs dans le Nord qu’on en choisit un au hasard, on se pose et on monte le camp. – Vivien Cumming

La prochaine étape de notre périple nous verra remonter en canot pour franchir les lacs Dismal jusqu’à la rivière Kendall pour rejoindre la rivière Coppermine. Le défi sera d’arriver à charger tout notre équipement personnel et de terrain, la nourriture, les tentes, les échantillons de roche, etc., dans les canots. Y arriverons-nous sans couler? Le temps sera-t-il favorable pendant notre trajet? On ne sait jamais ce qui nous attend dans l’Arctique…