Au fil de l’eau tant de beautés

Texte et photos de Vivien Cumming – @drvivcumming

Qu’arrive-t-il lorsque vous emmenez 12 personnes par avion à un camp de terrain et que vous devez les embarquer, avec armes et bagages, dans six canots? Eh bien, vous renvoyez une partie du barda avec l’avion!

Malgré tout, nous n’avons pas eu à en renvoyer tant que ça. Je suis étonnée de ce que l’on peut loger dans six canots : 12 personnes, 24 gros barils, 6 petits, 2 sacs pleins de tentes, une boîte à feu, un poêle à gaz, deux boîtes de matériel de cuisine, deux boîtiers Pelican contenant des drones, des ordinateurs et des appareils photo, et aussi – nous y tenions – une guitare.

La plupart de nos barils sont remplis de nourriture, et nous mangeons bien. Nous cuisinons sur la boîte à feu afin de ne pas laisser de trace de notre passage. Pour démarrer la journée, rôti de bœuf, poisson tout frais pêché, œufs et bacon, et mon plat favori – pain à la cannelle cuit au feu!

Habituellement, le transport pour le travail de terrain de la Commission géologique du Canada (CGC) dans les régions reculées du Nord se fait par hélicoptère, mais utiliser ses muscles et la puissance de l’eau pour se rendre à destination a son charme. Et comme nous devenons plus habiles à « lire » la rivière, nous commençons à voir que, parfois, il n’y a vraiment aucun effort à fournir, il suffit de laisser l’eau faire le travail. De surcroît, le fait de ne pouvoir aller que là où la rivière nous mène nous donne une idée de la vie au temps des premiers explorateurs.

Halage des canots sur la plage pour un campement
Halage des canots sur la plage pour un campement - Vivien Cumming.

Nous suivons la route qu’ont suivie George Douglas et August Sandberg, qui ont exploré la région en 1911-1912 à la recherche de l’origine des pépites de cuivre gisant dans le lit de la rivière – d’où le nom donné à la rivière, Coppermine.

La première partie de notre voyage nous emmène vers l’est à travers les trois lacs Dismal jusqu’à la rivière Kendall, qui se joint alors à la rivière Coppermine. Douglas les a parcourus en deux jours : ces lacs, écrivait-il, deviennent de moins en moins « lugubres » à mesure que l’on va vers l’est.

À nous, il a fallu trois jours, par un temps très semblable à celui qu’avait connu Douglas. Le premier jour fut le plus difficile. Alors que nous chargions les canots, le vent a forci et n’a plus montré aucun signe de faiblesse. Il nous a donc fallu pagayer contre le vent. Dur pour ce premier jour de canot, chargés comme nous l’étions de nourriture et de matériel.

Au deuxième lac, au contraire, le vent s’est mis derrière nous. Alors nous avons rassemblé les canots et, hissant une bâche en guise de voile sur des pagaies collées ensemble avec du ruban adhésif entoilé pour former un mât (n’est-ce pas incroyable ce qu’on peut faire avec du ruban adhésif?), nous nous sommes laissés pousser par le vent.

Le troisième lac s’est montré moins accueillant. Au moment du départ le matin, un fort vent soulevaient des vagues dans notre direction, ce qui est dangereux pour des canots bien chargés. Nous avons donc attendu et ce n’est qu’à 21 h que nous avons pu partir. Voyager à pareille heure l’été dans l’Arctique n’est pas un problème, car le soleil ne disparaît que pendant un instant et il ne fait jamais nuit. Nous sommes arrivés à 2 heures du matin – une belle randonnée de coucher de soleil où nous avons vu une mère grizzly et ses trois petits jouant sur le rivage.

Nous étudions les rapides de la rivière Kendall
Nous étudions les rapides de la rivière Kendall - Vivien Cumming.

Au bout du lac, nous attendait la rivière Kendall. De pied ferme, si je puis dire : nous allions descendre nos premiers rapides, avec des canots chargés. Or, nous avons réussi l’entreprise sans encombre ni trop de difficulté, si ce n’est qu’un de nos canots a fini la descente à reculons. À la fin de la rivière Kendall nous est apparue la rivière Coppermine, vaste et puissante. Subitement, nous avons fait l’expérience d’eaux très vives. On n’a pas à pagayer très fort, c’est toujours ça!

Chaque fois que nous dressons le camp, il nous faut d’abord penser à nous mettre à l’abri. Dans notre monde urbain, nous tenons pour acquis l’avantage d’avoir un toit au-dessus de nos têtes. Dans la nature sauvage, avoir un abri peut être une affaire de vie ou de mort. Ici, à tout moment et en un clignement d’œil, le temps peut changer et passer d’une belle journée chaude à des vents et à des pluies qui vous frigorifient. Une fois nos abris bien en place, la seconde priorité c’est bien sûr la bouffe!

Tom Skulski étudie un échantillon d’une coulée de lave avec sa loupe de terrain
Tom Skulski étudie un échantillon d’une coulée de lave avec sa loupe de terrain - Vivien Cumming.

Dans cette partie de notre voyage, nous échantillonnons des coulées de lave provenant de gigantesques éruptions volcaniques, appelées épisode Mackenzie, et qui recouvrent les roches sédimentaires porteuses de vie que nous avions étudiées dans les lacs Dismal. Tom Skulski, de la CGC, nous conduit parmi les couches de lave sans fin qui composent les montagnes qui nous entourent. Je les appelle les montagnes de crêpes brûlées, car les couches sombres de lave basaltique ressemblent à des crêpes empilées (on les appelle en fait les September Mountains).

L’échelle de ces éruptions volcaniques est énorme – du même ordre que pour les basaltes des plateaux du fleuve Columbia. Des traces de ces éruptions anciennes ont été trouvées au Canada à plus de 2000 km plus au sud. Une étude publiée en 1996 par Baragar et collègues a révélé ici la présence d’environ 150 coulées d’une épaisseur totale de 3 km, et nous voulons toutes les échantillonner!

Les montagnes composées de coulées de lave superposées – mes crêpes brûlées
Les montagnes composées de coulées de lave superposées – mes crêpes brûlées - Vivien Cumming.

Les éruptions à cette échelle ont un impact énorme sur le système climatique et la vie sur Terre. Nous ne savons pas encore quelle fut la cause de ces éruptions. Peut-être était-ce le choc d’une météorite ou la présence d’un point chaud dans le manteau de la Terre, comme ce que nous avons sous Hawaï de nos jours.

Des phénomènes de cette ampleur sont semblables à ceux qui ont causé les extinctions massives comme celle des dinosaures. Nous voulons donc savoir quels ont été les effets de ces irruptions sur la vie à cette époque et leur durée. « C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes ici – nous ne savons pas », explique Rob Rainbird, de la CGC, chef de l’expédition.

Nous examinons l’état des roches avant, pendant et après cet épisode volcanique – pour avoir une idée de la façon dont la planète a réagi à de si grands épanchements de magma. Un magma que nous pouvons voir aujourd’hui tout autour de nous et qui a créé ce magnifique paysage.

La rivière Coppermine serpente à travers un magnifique paysage de roches volcaniques à la limite de la zone arborée
La rivière Coppermine serpente à travers un magnifique paysage de roches volcaniques à la limite de la zone arborée - Vivien Cumming.

Ce paysage me rappelle des régions de mon pays d’origine, l’Écosse, composées de collines et d’arbres épars. Mais ici, nos efforts ont été récompensés par l’observations de caribous, de bœufs musqués, de grizzlis, d’aigles à tête blanche, d’orignaux, de loups… et d’un petit oiseau semblable à un moineau que nous avons sauvé de la noyade dans la rivière.

Le courant nous emmènera gracieusement plus bas sur la rivière Coppermine et nous fera découvrir des roches qui recouvrent les coulées de lave en forme de crêpes, et mettra fin à notre relation au sujet de cette étrange période d’il y a plus d’un milliard d’années.