Structures « pingomorphes » et volcans de boue dans l’est de la plateforme du Mackenzie le 12 septembre

Au cours des derniers jours, nous avons réalisé trois plongées avec l’engin sous-marin téléguidé et deux levés avec l’engin sous-marin autonome dans des régions géologiquement intéressantes, les structures pingomorphes (en forme de pingo) et des volcans de boue dans l’est de la plateforme du Mackenzie.

On trouve environ 1 350 pingos, ou hydrolaccolites, sur les terres adjacentes de la péninsule de Tuktoyaktuk. Pingo, un mot inuit, désigne un monticule dont le cœur est formé de glace qui se forme sur terre en été lorsque de l’eau douce entre dans les sédiments près de la surface et gèle en hiver. La formation de glace produit une expansion qui pousse vers le haut les couches de sédiments qui la surmontent, ce qui crée le pingo.

Les structures pingomorphes trouvées sur le fond sous-marin sont des monticules circulaires qui s’élèvent comme des bottes de foin sur le plancher océanique et qui ressemblent superficiellement aux hydrolaccolites terrestres. Les premières structures pingomorphes ont été découvertes dans cette région en 1969 et on les a étudiées à cause des dangers qu’elles pouvaient poser à la navigation. Depuis, on en a découvert des milliers le long de la plateforme et la pente continentale, mais seulement quelques-unes ont été étudiées avec suffisamment de détails pour comprendre comment elles se forment. Un des objectifs de cette expédition est d’essayer de déterminer si les pingos sous-marins et terrestres sont réellement des structures semblables qui sont formées par des processus analogues.

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Photo 1 : Structures pingomorphes sur une image bathymétrique.

Dans les images bathymétriques obtenues par sonar multifaisceaux, les structures pingomorphes ressemblent à des rangées de monticules circulaires ou, si elles se sont écroulées, des rangées de beignets. Nous avons choisi d’explorer quatre structures, hautes de 10 m et larges de 70 m, avec la caméra vidéo à haute résolution du mini-sous-marin téléguidé. Pendant le levé, nous avons trouvé des transitions abruptes entre le plancher lisse et plat qui entoure les structures pingomorphes et les pentes de 30° à 40° de ces structures. La surface de ces pentes est formée de petits boulets, de galets et de gravier. Puisque l’on ne voit pas ces matériaux sur le plancher environnant, on peut supposer qu’ils ont été poussés vers le haut, en même temps que l’eau douce depuis les profondeurs du plancher océanique.

Nous avons aussi observé des communautés d’organismes suspensivores, des animaux qui se nourrissent de petits organismes planctoniques emportés par les courants. Nous trouvons souvent ces animaux — parmi lesquels se trouvent les coraux mous, les gorgonocéphales (ou fausses étoiles de mer) et les crinoïdes — sur les terrains pentus, comme le flanc et les sommets des structures pingomorphes, où les courants sont plus rapides et emportent plus d’aliments. Nous avons aussi observé une variété de poissons benthiques, de vers, d’éponges, d’ophiures et d’anémones.

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Photo 2 : Corail Gersemia sp., éponges et ophiures sur une structure pingomorphe.

Les volcans de boue sont aussi des structures circulaires s’élevant du plancher océanique, avec un sommet conique ou plat, mais contrairement aux pingos, ils ne contiennent pas de cœur de glace. Ces structures plus larges, ressemblants à des galettes ont plus un d’kilomètre de diamètre et une hauteur entre dix et trente mètres. Ce sont des zones de changements subtils de la topographie du fond marin. Les volcans de boue se forment lorsque du méthane gazeux, de l’eau de mer et de la boue bouillonnent et remontent depuis environ un kilomètre sous le plancher marin.

Le premier volcan de boue que nous avons étudié repose à 420 m de fond. La bathymétrie par sonar multifaisceaux révèle la forme des écoulements de boue et nous pouvons détecter ce que nous estimons être des âges différents avec le sonar latéral et les images prises par le sous-marin téléguidé qui montrent des changements brusques de couleur du gris pâle au gris foncé qui correspondent à des écoulements très jeunes et très anciens. Nous observons aussi des différences dans la chimie des couches sous le plancher océanique et, sur les écoulements les plus anciens, des populations denses de vers polychètes siboglinidés, des organismes chimiotrophes qui prospèrent dans les sédiments riches en éléments chimiques. Les autres organismes trouvés sur le volcan de boue à 420 m étaient les poissons et crevettes benthiques et plusieurs espèces d’anémones.

La bathymétrie d’un volcan de boue à 740 m de profondeur indique des écoulements de boue, et la cartographie répétée montre des changements annuels dans la topographie superficielle. Pendant la plongée de l’engin télécommandé, nous avons aperçu une zone d’évent où la boue fluide se déplaçait activement. On aurait cru que la surface du plancher océanique était recouverte d’eau bouillonnante. De petites bulles de gaz s’échappaient presque continûment de la boue liquéfiée et de grosses poussées de gaz transportaient des sédiments vers le haut dans la colonne d’eau. Autour de la zone d’évents, se trouvaient des traînées de ce qui semblait être des écoulements de boue très fraîche descendant la pente douce du flanc du volcan de boue.

Ces observations donnent un aperçu de la construction des volcans de boue. La vie sous-marine était moins abondante, mais nous avons observé quelques anémones éparses, des poissons, de belles raies et le krill omniprésent et incroyablement abondant dans presque tous les levés avec l’engin sous-marin téléguidé.

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Photo 3 : Sur un volcan de boue à 420 m de fond, juxtaposition visible d’un écoulement de boue récent et d’un écoulement ancien, en arrière-plan, recouvert d’une population dense de vers siboglinidés.

La mer était calme et les vents légers mais, lorsqu’un glaciel arctique s’est approché du navire pendant le levé de l’engin sous-marin téléguidé, nous avons dû très rapidement interrompre la plongée et voguer vers un autre site de levé. Or, ce deuxième site n’était pas non plus accessible, encore une fois à cause des glaces. Nous avons profité de la circonstance pour entrer dans ce front de glace de mer et observer de près l’incroyable beauté du glaciel dérivant. C’était vraiment impressionnant! Nous retournons demain à l’ouest de la plateforme du Mackenzie pour nos deux derniers jours de levés.

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Photo 4 : Glaciel devant la proue de l’Araon.