Le problème mondial du mercure dans l’Arctique

Ashu Dastoor, chercheuse scientifique à Environnement et Changement climatique Canada, explique comment les modèles informatiques et les observations sur le terrain ont permis de cerner les sources de mercure atmosphérique dans l'Arctique.

Saviez-vous que le mercure peut être transporté dans l'air? Il peut s'évaporer, devenant ainsi invisible et inodore. Sous forme de vapeur, le mercure peut se déplacer pendant des mois dans l'air, mais il peut aussi se déplacer dans l'eau après s'être déposé dans le sol et les océans. Avec ces deux modes de transport, le mercure peut se rendre dans l'Arctique pour y être absorbé par les plantes, les sols, la neige, la glace et les eaux. Une fois dans l'Arctique, de grandes quantités de mercure peuvent être séquestrées pendant des milliers d'années dans le pergélisol et les glaciers. Toutefois, les bactéries présentes dans les sols, les sédiments et les eaux transforment le mercure en sa forme toxique, le méthylmercure, qui s'accumule ensuite dans les chaînes alimentaires, menaçant ainsi la santé de la faune et des populations humaines de l'Arctique.

Qu'est-ce que le mercure?

Le mercure est présent naturellement dans la croûte terrestre. Il est mieux connu sous sa forme liquide, mais on le trouve surtout sous forme de vapeur (ou de gaz) dans l'air. Il se transforme en gaz lorsque le charbon est chauffé ou par le biais de petites exploitations aurifères et d'autres procédés industriels. La lumière du soleil peut également décomposer certains des dépôts de mercure déjà présents dans le sol et les océans en raison d'émissions industrielles passées. Il s'évapore ensuite et retourne dans l'atmosphère, pour finalement se diriger vers l'Arctique.

D'où vient le mercure présent dans l'Arctique?

La plupart du mercure présent dans l'Arctique provient de l'air, de l'océan et des rivières, mais le transport atmosphérique est la principale voie d'accumulation du mercure dans les écosystèmes arctiques. Les émissions de mercure dans l'air provenant d'activités industrielles passées et actuelles et, pour certaines, de phénomènes naturels tels que les émissions volcaniques, la décomposition des roches et des minéraux ou les incendies de forêt, se déplacent autour du globe et se déposent sur les surfaces terrestres.

Figure 1 : Carte du globe montrant le déplacement des émissions de mercure par le vent vers l’Arctique.

Figure 1 : Panaches d’émissions de mercure transportés par les vents à travers l’océan Pacifique jusqu’à l’Arctique le 19 mai 2015, représentés par des niveaux de mercure faibles (bleu) à élevés (rouge) dans l’air autour du globe. L’emplacement des sites d’observation du mercure d’Environnement et Changement climatique Canada, Alert (Nunavut) et Little Fox Lake (Yukon), est indiqué par des étoiles roses. Simulation de modèle par Andrei Ryjkov, scientifique de l’équipe de modélisation du mercure d’Environnement et Changement climatique Canada..

 

Les scientifiques recueillent depuis de nombreuses années des données relatives aux émissions, aux niveaux et aux déplacements de mercure dans les environnements mondiaux et arctiques. Ils travaillent également en étroite collaboration avec les communautés inuites du Nord pour recueillir les connaissances traditionnelles sur les terres et les espèces sauvages. À partir de ces connaissances et de ces données, des modèles informatiques ont été mis au point pour reproduire virtuellement les situations réelles des voies de transport et des dépôts de mercure. Nous savons qu'une grande partie du mercure en suspension dans l'air dans l'Arctique provient d'Asie, bien qu'une certaine quantité remonte également vers le Nord depuis l'Amérique du Sud. Les scientifiques l'ont compris en utilisant ces modèles informatiques. Ces modèles informatiques peuvent reproduire des situations passées et présentes et prédire des scénarios futurs.

 

Ashu Dastoor, chercheuse scientifique principale à Environnement et Changement climatique Canada, est l'auteure principale du troisième chapitre du rapport d'évaluation du mercure dans l'Arctique 2021 [en anglais seulement] du Programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique. Ce chapitre explique d'où vient le mercure, où il se dépose et comment il se déplace dans l'Arctique. Selon madame Dastoor, les modèles informatiques montrent que la majeure partie du mercure qui s'accumule aujourd'hui dans l'Arctique provient de la recirculation des émissions de mercure provenant d'activités humaines antérieures, mais que les activités humaines récentes sont malgré tout responsables du tiers de l'accumulation de mercure dans l'Arctique chaque année. « La réduction des émissions anthropiques actuelles est essentielle pour réduire le mercure aujourd'hui et pour empêcher l'accumulation future de mercure recyclé dans l'Arctique », explique-t-elle.

Où va le mercure dans l'Arctique?

Les modèles informatiques, ainsi que les données recueillies sur le terrain, nous aident non seulement à déterminer d'où vient le mercure, mais aussi à calculer où il se dépose dans l'Arctique. Nous savons que le mercure qui se déplace dans l'air a tendance à être absorbé en grande quantité par la végétation, pour finalement pénétrer dans les sols lorsque les plantes meurent, ou se déposer à la surface de la neige, de la glace et de l'eau. Après de longues périodes d'obscurité, le lever du soleil polaire provoque une augmentation spectaculaire de l'activité chimique propre à l'environnement polaire. Il transfère le mercure de l'air vers les vastes zones de manteau neigeux côtier et marin. Si une partie de ce mercure est recyclée dans l'air, une autre se retrouve dans les eaux marines lorsque la glace de mer et le manteau neigeux fondent. Les inondations printanières apportent également de grandes quantités de mercure séparé des sols de surface et accumulé dans le manteau neigeux jusqu'aux eaux océaniques par les cours d'eau des lacs intérieurs et rivières, et l'érosion côtière.

Une fois dans le sol et les eaux, le mercure se fixe principalement à des particules telles que les sols et les matières organiques, ce qui lui permet de se déposer dans les lacs, les eaux côtières peu profondes, appelées plateaux, et les sédiments des grands fonds océaniques. « En rassemblant les données amassées sur terre, recueillies par les navires et déduites par modélisation informatique, nous pouvons dresser un tableau complet de la présence du mercure, y compris de sa quantité et de la façon dont il se déplace dans l'écosystème arctique », explique madame Dastoor. « Nous avons découvert qu'une quantité de mercure beaucoup plus importante qu'on ne le pensait auparavant, arrivant dans l'océan par les rivières et l'érosion côtière, aboutit dans l'estuaire, une zone de transition entre les rivières et les océans, et dans les sédiments de plateau. » Elle souligne que ces sites sont connus pour convertir le mercure en sa forme toxique, et que les estuaires sont les principales zones de chasse et de pêche pour les populations autochtones du Nord. « Il est important que nous comprenions le comportement du mercure dans les sédiments et son absorption dans les chaînes alimentaires dans ces régions », déclare madame Dastoor.

La nécessité de poursuivre la recherche

L'étude du mercure dans l'Arctique est relativement récente. On manque de données sur le nombre de régions de la toundra arctique, des forêts boréales et des eaux océaniques qui échangent du mercure avec l'air. Les estimations sont réalisées à partir de données provenant d'endroits et de saisons limités dans l'Arctique. « Les modèles révèlent que les changements environnementaux tels que le réchauffement des températures et la fonte de la glace de mer influencent profondément le cycle du mercure atmosphérique dans l'Arctique. En ce sens, les configurations des vents qui transportent le mercure et la façon dont le mercure interagit avec les écosystèmes de l'Arctique sont en train de changer », explique madame Dastoor. Sur terre, les scientifiques trouvent de fortes concentrations de mercure dans les cours d'eau provenant du dégel du pergélisol et de la fonte des glaces. Ces effets du réchauffement climatique libèrent le mercure des sols où il s'était accumulé et était resté enfoui pendant des milliers d'années. Le dégel du pergélisol se produit partout dans l'Arctique, mais ses répercussions futures demeurent pour l'instant incertaines. Nous ne comprenons pas entièrement comment le mercure est mobilisé à partir des sols et quel est son devenir dans les eaux océaniques, en particulier dans les estuaires. « L'amélioration de la couverture géographique de la surveillance du mercure et l'application de modèles qui tiennent compte des variations de l'écosystème selon divers scénarios futurs de changements climatiques nous aideraient à anticiper les effets variables des changements climatiques sur les répercussions du mercure dans l'Arctique », déclare madame Dastoor.

Planifier pour l'avenir

Il est important d'en savoir plus sur les répercussions du mercure sur l'Arctique, non seulement pour la faune, la flore et les humains qui vivent dans cette région, mais aussi pour nous tous. Les changements climatiques pourraient accélérer la probabilité d'une augmentation des rejets de mercure dans l'air et dans l'eau. Cela pourrait aggraver l'incidence humaine dans les écosystèmes arctiques en aval, vulnérables au réchauffement climatique. L'augmentation prévue des incendies de forêt, causée par un climat plus chaud et plus sec, peut également contribuer à une augmentation du mercure dans l'atmosphère, au même titre que la modification des schémas de circulation de l'air due à des températures plus élevées et à une diminution des concentrations de glace de mer causée par un réchauffement du climat.

La Convention de Minamata sur le mercure est l'un des moyens par lesquels le monde se rassemble pour protéger l'environnement et la santé humaine des effets néfastes du mercure. Ce traité mondial est entré en vigueur en 2017 et comprend plusieurs mesures telles que l'interdiction de nouvelles mines de mercure et des mesures de contrôle des émissions de mercure dans l'air.

Une meilleure compréhension des effets du mercure sur l'environnement nous permettra de mieux protéger l'Arctique de ces effets pour les générations futures.

Pour obtenir de plus amples renseignements sur le mercure dans l'Arctique, consultez le rapport d'évaluation du mercure dans l'Arctique 2021 [en anglais seulement] du Programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique (PSEA), un groupe de travail du Conseil de l'Arctique. Le PSEA réunit des chercheurs, des scientifiques et d'autres experts afin de surveiller et d'évaluer la pollution et les changements climatiques dans l'Arctique, et propose aux gouvernements des mesures visant à réduire ces menaces.