Notre vision à l’égard de la science : Le point de vue du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef

Ce rapport a été préparé à la demande de la conseillère scientifique en chef, qui souhaitait que le Conseil jeunesse partage ses observations et ses espoirs concernant la science et la recherche au Canada, à travers le point de vue unique des jeunes.

Le Bureau de la conseillère scientifique en chef met ce rapport à la disposition des groupes intéressées qui pourraient examiner les perspectives et les recommandations qu'il propose.

 


 

Septembre 2022

 

L’emploi du genre masculin a pour but d’alléger le texte en d’en faciliter la lecture

 

 

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Table des matières

 

Reconnaissance des terres

 

Pour commencer, nous reconnaissons que les terres sur lesquelles nous vivons sont des territoires traditionnels de nombreuses nations autochtones différentes. Nous demandons à chacun d'entre vous de prendre un moment pour apprendre davantage sur les peuples autochtones et les terres sur lesquelles vous vous trouvez actuellement et y réfléchir.Dans le contexte du présent rapport, nous vous invitons également à réfléchir à la manière dont nous pouvons collectivement soutenir les efforts et porter la voix des scientifiques et chercheurs autochtones, et prendre des mesures concrètes pour remédier aux injustices historiques et aux inégalités persistantes. Par exemple, vous pouvez choisir de consulter le site Native Land DigitalNote de bas de page 1 pour en savoir plus sur la terre sur laquelle vous vous trouvez actuellement, ou assister au cours Indigenous Peoples and Technoscience des professeurs Kim TallBear et Jessica Kolopenuk de l'Université de l'AlbertaNote de bas de page 2.

 

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Remerciements

Merci à Dre Mona Nemer d’avoir valorisé la voix des jeunes et de nous avoir encouragés et soutenus à articuler notre vision de la science. Nous tenons aussi à remercier nos mentors, Paul Dufour (Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique, Université d'Ottawa) et Rackeb Tesfaye (Université McGill), ainsi que les membres du Bureau de la conseillère scientifique en chef, en particulier Vanessa Sung et Nahiea Zaman, pour leurs conseils et leurs idées sur le présent rapport.

 

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Avant-propos de la conseillère scientifique en chef du Canada

La science constitue l’un de nos plus grands atouts pour s’attaquer aux problèmes mondiaux et bâtir un meilleur avenir : celui-ci doit être façonné par les voix de la prochaine génération. En mars 2020, j’ai eu l’immense plaisir d’annoncer la création du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef. Ce groupe est composé de jeunes stagiaires, chercheurs et professionnels scientifiques exceptionnellement brillants qui ont été recrutés dans tout le pays. Chacun d’entre eux contribue grâce à son expertise, à ses connaissances, à ses idées et à son expérience. Les membres ont pour tâche de nous fournir, à mon équipe et à moi, des renseignements sur les enjeux scientifiques tels qu’ils sont perçus par la jeunesse, et de porter à notre attention les problèmes qui sont importants pour les jeunes membres de la communauté scientifique du Canada.

L’une des questions clés que je leur ai posées est la suivante : comment entrevoyez-vous l’avenir de la science et de la recherche au Canada? Il s’agit d’une grande question, mais ils ont su fournir une réponse à la hauteur.

Dans ce rapport, ils indiquent, dans leurs propres mots, ce qu’ils observent dans le paysage scientifique actuel et comment ils imaginent l’avenir de celui-ci. Ce rapport est ambitieux et couvre un vaste éventail de sujets, mais un thème clair qui s’en dégage est le désir de décloisonner la science, notamment en faisant tomber les murs entre les systèmes de connaissances, les disciplines, les secteurs, les cheminements de carrière et les populations. Les capsules portant sur les réflexions personnelles des membres du Conseil jeunesse sont particulièrement plaisantes à lire : elles insufflent au rapport l’espoir et l’inspiration qui émanent des jeunes déterminés à avoir une incidence positive sur le monde.

Dans l’environnement hautement interconnecté dans lequel nous vivons, il est judicieux de nous efforcer de travailler en collaboration étroite et de faire tomber les barrières relatives à la science. J’encourage fortement les lecteurs à examiner sérieusement, comme moi, les actions proposées dans ce rapport en vue de bâtir une entreprise scientifique plus inclusive, collaborative, ouverte, interdisciplinaire et représentative.

 

Mona Nemer
Conseillère scientifique en chef du Canada

 

 

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Préface du rapport

En tant que membres du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chefNote de bas de page 3, nous représentons les voix de la prochaine génération de scientifiques et de chercheurs. Notre Conseil est composé de membres issus d'un large éventail de domaines scientifiques, qui en sont à diverses étapes de leur carrière, et dont l'âge, le milieu culturel et les points de vue sont différents. Mais ce sur quoi nous sommes toujours d'accord, c'est que la science doit jouer un rôle plus important pour continuer à s'attaquer aux grands problèmes mondiaux, notamment les changements climatiques, la réduction des inégalités sociales et l'incertitude de l'avenir. La culture de la science et de la recherche a souvent été coupée du monde extérieur, mais le travail que nous accomplissons, bien qu'il ne soit pas exempt de préjugés, n'est pas inutile. Pour établir et maintenir la confiance avec la société au sens large, il faut que les scientifiques et les chercheurs de tous les secteurs s'efforcent d'éliminer les cloisonnements et les obstacles qui limitent la participation, le maintien et les avantages de la science.

Dans le présent rapport, nous avons relevé le défi lancé par la conseillère scientifique en chef du Canada d'envisager l'avenir des sciences et de la recherche au Canada. Nous discutons, dans nos propres mots et à travers le prisme de nos expériences, des défis que nous avons observés ou auxquels nous avons été confrontés et de la façon dont nous entrevoyons l'évolution du paysage de la science et de la recherche au Canada, pour le bien de la prochaine génération. Il s'agit d'un rapport ambitieux qui aborde un large éventail de sujets et propose des idées novatrices, mais qui ne traite pas de tous les problèmes auxquels la communauté scientifique du Canada doit faire face. Nous avons plutôt cherché à faire tomber les murs dans le domaine des sciences, notamment entre les disciplines, les secteurs, les parcours professionnels et la société. C'est une question importante et urgente pour nous tous, et c'est notre avenir collectif que nous cherchons à améliorer et à façonner.

Nous croyons fermement que la science au Canada doit être plus inclusive, collaborative, ouverte, interdisciplinaire et réfléchie. Nous envisageons la science de demain comme étant ouverte et accessible à tous les membres de la société. Dans le présent rapport, nous commençons à imaginer ce à quoi elle ressemblera, et nous lançons des appels à l'action à un éventail d'intervenants pour réaliser cette vision au Canada.

Appels à l'action

Nous présentons ci-dessous les mesures qui méritent d'être prises en considération par les gouvernements et les intervenants concernés dans différents secteurs. Ces appels à l'action sont classés par section, et non par leur niveau d'urgence.

Section 2 : Directions en matière de science et de recherche au Canada

  1. Intégrer différents types de création et de systèmes de connaissances.
  2. Repenser la façon dont nous évaluons l'incidence de la recherche, en tenant compte de l'équité.
  3. Mettre en place des mécanismes permettant de décloisonner les disciplines.
  4. Fournir un financement durable pour soutenir la science et la recherche au Canada.

Section 3 : Collaborations et multidisciplinarité

  1. Mesurer le succès des relations et de la collaboration entre les secteurs, en mettant l'accent sur l'organisme de recherche, l'indépendance, la reconnaissance, ainsi que sur le financement et le soutien accessibles.
  2. Améliorer le financement des secteurs non universitaires.
  3. Créer et financer durablement des occasions de formation intégrée dans l'enseignement supérieur afin de promouvoir le mouvement entre les disciplines et les secteurs.
  4. Renforcer le rôle des partenariats public-privé pour parvenir à une meilleure intégration de la science dans les politiques publiques.
  5. Créer davantage de possibilités pour les programmes d'échange de chercheurs, tant au Canada qu'à l'étranger, et accroître le soutien aux programmes d'échange existants.

Section 4 : Les chemins vers la science

  1. Examiner, ou compléter, l'enseignement de la maternelle à la 12e année comme une occasion d'exposer les enfants à un large éventail de modèles divers, et de permettre aux jeunes d'acquérir les compétences nécessaires pour se lancer dans les carrières de demain.
  2. Soutenir et reconnaître les enseignants de la maternelle à la 12e année.
  3. Multiplier les rampes d'accès aux sciences en créant ou en soutenant des expériences plus informelles dans les domaines des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques).
  4. Redéfinir l'expression « excellence de la recherche » pour valoriser l'excellence sous toutes ses formes.
  5. Modifier l'approche à l'égard de l'examen de l'« excellence » dans l'ensemble des processus, ce qui comprend l'examen par les pairs et l'évaluation pour l'embauche, la promotion et la permanence.
  6. Repenser l'approche fédérale à l'égard des bourses d'études supérieures et postdoctorales.
  7. Continuer de démanteler les barrières systémiques et institutionnelles qui empêchent l'entrée, l'avancement et le maintien en poste des scientifiques appartenant à des communautés historiquement exclues.
  8. Fournir des emplois stables aux chercheurs au Canada en renforçant les laboratoires de recherche financés par l'État.
  9. Normaliser l'exploration des différentes carrières scientifiques afin qu'il soit plus facile d'amorcer ou d'abandonner une carrière en science ou un domaine connexe.

Section 5 : La science dans la société

  1. Faire preuve de clarté, employer un langage simple et intégrer les principes fondamentaux de la communication scientifique inclusive lorsqu'il s'agit de rédiger un texte scientifique.
  2. Mettre en œuvre des mécanismes afin que le langage scientifique soit accessible, dès la production et la communication de la science.
  3. Créer et intégrer davantage d'occasions de formation en communications scientifiques dans les établissements universitaires, en tenant compte des différentes étapes de la carrière et d'une formation adaptée aux différents médias.
  4. Tirer profit des efforts déployés pour que la mobilisation du grand public dans le domaine de la science soit amusante et inclusive, et contribuer à démystifier la science.
  5. Déployer des efforts institutionnels pour valoriser et encourager la participation à la communication scientifique et à la mobilisation du grand public.
  6. Protéger contre le harcèlement les personnes qui participent aux efforts de mobilisation du grand public et de communication scientifique.

Section 6 : La prochaine génération d'avis scientifiques

  1. Créer et intégrer des conseils de jeunes (ou d'autres formes de participation des jeunes) dans les établissements universitaires et les ordres de gouvernement.
  2. S'efforcer de garantir une véritable inclusion des voix et des points de vue des jeunes dans les processus décisionnels.

 

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1. Contexte

La scienceNote de bas de page a est un élément fondamental de notre vie. Indissociable de tous les aspects de notre société, qu'il s'agisse de la culture ou de l'innovation, la science a une incidence sur notre vie quotidienne. Aujourd'hui, la science est présente partout : dans les établissements postsecondaires, les industries, les organismes à but non lucratif, les gouvernements, les laboratoires, sur les lieux de travail et dans les communautés à travers le monde. Les chercheurs continuent d'exploiter les découvertes passées dans tous les domaines, des sciences sociales à l'ingénierie, et s'efforcent de transposer les résultats de la recherche en mesures concrètes. Et surtout, tout au long de la pandémie de COVID-19, le public a vu la science et la recherche se développer en temps réel. Des termes qui étaient auparavant considérés comme du jargon technique, comme le « test PCR », font désormais partie de notre langage quotidien.

1.1 Qui sont les scientifiques et les chercheurs du Canada?

Ce sont des personnes qui s'intéressent aux sciences à différents endroits et à différents moments de leur vie. Qu'il s'agisse de l'éducation, de la formation ou de l'exercice d'une multitude de rôles connexes dans divers milieux de travail, un nombre considérable de personnes remarquables contribuent à la culture scientifique du Canada.

Traditionnellement, l'enseignement et la formation en sciences commencent souvent dans les salles de classe des écoles primaires et secondaires, pour aboutir à des études postsecondaires dans des collèges et des universités. En 2019, selon Statistique CanadaNote de bas de page 4 on comptait au pays 587 151 titulaires d'un diplôme d'études postsecondaires (tableau 1). Bon nombre de ces diplômés, ainsi que des recrues internationales, poursuivent des études et des formations supérieures et fournissent les idées, les talents et la main-d'œuvre critiquesNote de bas de page 5 nécessaires à la recherche postsecondaire menée au Canada. Selon l'Association canadienne pour les études supérieures (2018)Note de bas de page 6, plus de 175 000 étudiants diplômés sont inscrits dans des universités, dont environ 127 000 dans un programme de maîtrise et 48 000 dans un programme de doctorat.

 

Tableau 1 : Champs d'études choisis par les titulaires d'un diplôme d'études postsecondaires en 2019 (Statistique Canada)Note de bas de page 4.

Champ d'études Total (2019)
Sciences humaines 43 932
Sciences sociales et comportementales, et droit 82 521
Sciences physiques et de la vie, et technologies 35 208
Mathématiques, informatique et sciences de l'information 27 327
Architecture, ingénierie et technologies connexes 76 752
Agriculture, ressources naturelles et conservation 10 854
Santé et domaines connexes 84 822

 

 

Rencontre avec Marie-Ève Boulanger, physicienne quantique

 

Marie-Ève Boulanger : Je suis titulaire d'un doctorat en matériaux quantiques au Département de physique et à l'Institut quantique de l'Université de Sherbrooke. Mes recherches ont porté sur la mesure de la conductivité thermique dans les supraconducteurs - plus précisément, dans les supraconducteurs à haute température à base d'oxyde de cuivre (cuprates).

Les supraconducteurs sont des matériaux dont la résistance électrique est nulle. Toutefois, ce phénomène unique n'est observé que lorsque la température est extrêmement basse, ce qui rend les applications quotidiennes plus difficiles à réaliser. Mon objectif en tant que physicienne est de comprendre comment les propriétés électroniques et non électroniques des supraconducteurs réagissent sous l'effet d'un flux thermique afin de comprendre leur comportement fondamental. En effectuant des mesures dans des conditions extrêmes (c.-à-d. à la température la plus basse ou à l'intérieur de champs magnétiques puissants), nous pouvons séparer et identifier les différents vecteurs thermiques (p. ex., les électrons ou les phonons) afin de les étudier plus à fond sous diverses contraintes. En disposant de ce type de connaissances, nous pourrons comprendre comment fabriquer ces supraconducteurs à température ambiante afin qu'ils puissent être utilisés à plus grande échelle.

Ce que j'aime le plus dans la recherche, c'est que chaque jour, nous sommes à la frontière de nouvelles découvertes, repoussant les limites de la science et de la connaissance. Nous ne connaissons pas toujours la réponse, et c'est là que la magie opère! La compréhension des principales propriétés fondamentales des nouveaux matériaux quantiques permettra aux technologies quantiques, comme les ordinateurs quantiques, de devenir réalité.

 

Mais alors que le nombre de titulaires de doctorat augmente au Canada, le nombre de postes universitaires disponibles stagne ou diminue. Selon le Comité d'experts sur la transition des titulaires de doctorat vers le marché du travail du Conseil des académies canadiennelNote de bas de page 7, « [e]n 2009, il y avait plus de 10 500 professeurs adjoints au Canada, mais en 2017, ils n’étaient plus que 8 600, car les universités n’avaient pas entièrement rétabli leurs effectifs après avoir promu des professeurs adjoints au rang de professeur agrégé ». En plus de cela, les secteurs non universitaires n'ont pas augmenté de manière significative leur embauche de titulaires de doctorat.

Bien sûr, la science et l'innovation au Canada ne se limitent pas aux universités et aux établissements d'enseignement postsecondaire. Souvent, les scientifiques effectuent une transition pour travaillerNote de bas de page 8 dans des secteurs comme la santé, l'éducation, l'ingénierie, la biotechnologie et d'autres secteurs. En 2018, selon Statistique CanadaNote de bas de page 8, il y avait 13 080 personnes qui travaillaient en recherche et développement au gouvernement fédéral, 2 580 au sein de gouvernements provinciaux, 151 570 dans des entreprises, 75 970 dans l'enseignement supérieur et 1 240 dans les organismes privés ou sans but lucratif. En fin de compte, la science fait de tout évidence partie intégrante de la société et de l'économie canadiennes et comporte de nombreuses voies connexes.

1.2 Au-delà du laboratoire et du terrain : la confiance du public dans la science

Les percées réalisées dans des domaines comme la génomique et la physique quantique ne sont possibles que dans une société qui est mobilisée à l'égard de la scienceNote de bas de page 9 et qui soutient à la fois le financement de la recherche scientifique et la prochaine génération de scientifiques et de travailleurs.

Au milieu de la pandémie, l'indice de l'état de la science 3M pour 2021Note de bas de page 10 révèle qu'au Canada, la confiance du public dans la science avait augmenté à 93 % (soit une augmentation de 5 % par rapport à la période prépandémique) et que la confiance dans les scientifiques avait également connu une hausse de 5 % pour atteindre 90 %. De même, selon un sondage mené en 2021Note de bas de page 11 et commandé par la Fondation canadienne pour l'innovation, en partenariat avec l'Association francophone pour le savoir (ACFAS), une majorité de 1 500 jeunes (âgés de 18 à 24 ans)Note de bas de page 11 au Canada ont des opinions conformes à la science, comme le fait de convenir que les vaccins COVID-19 sont sûrs, et qu'il est essentiel que les politiciens et les gouvernements s'appuient sur la science lorsqu'ils prennent des décisions politiques.

Mais il y a aussi des signes inquiétants. Par exemple, dans l'indice de l'état de la science 3M pour 2021Note de bas de page 10, seulement 48 % des répondants croient que cette appréciation accrue de la science se poursuivra une fois la pandémie terminée (35 % sont incertains), et 85 % des répondants au Canada croient qu'il faut faire davantage pour encourager et mobiliser les femmes et les filles dans l'enseignement des STIM. En outre, le sondage réalisé par la Fondation canadienne pour l'innovation en 2021Note de bas de page 11 révèle que 73 % des jeunes suivent au moins une personne influente sur les médias sociaux qui a exprimé des opinions antiscientifiques, et qu'un jeune sur quatre pourrait méconnaître la science.

Cependant, la confiance du public dans la science est également un sujet très nuancéNote de bas de page 12. La confiance dans la science va au-delà de la confiance dans les théories et les principes scientifiques; elle englobe également l'acceptation et la confiance à l'égard des scientifiques, des spécialistes, de la politique et les politiques, l'histoire et la communication de la science. En tant que tel, le contraire de la confiance dans la science n'est pas nécessairement l'antiscience, mais souvent un manque de confiance dans les systèmes politiques ou scientifiques, les politiques et les acteurs connexes. La confiance peut se briser de différentes manières, et les véritables efforts pour reconstruire les relations doivent tenir compte des expériences historiques et actuelles de toute communauté donnée. Par conséquent, en ce qui concerne la science et la culture scientifique de l'avenir, la promotion de la confiance du grand public doit rester délibérée, intentionnelle et au cœur de toutes les recherches et de tous les programmes. Et, tout comme le manque de confiance, la restauration de la confiance du grand public n'est pas une responsabilité qui incombe uniquement aux scientifiques et aux spécialistes de la science.

 

La confiance du public, la pandémie et le rôle des vérificateurs de faits communautaires

 

Chelsie Johnson : La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve un grand nombre de systèmes et de relations, et a révélé des problèmes systémiques profonds. Et si la science a été projetée sous les feux de l'actualité pendant la pandémie, il en a été de même pour les répercussions considérables des histoires d'oppression et du manque de confiance qu'elles ont occasionné dans de nombreuses collectivités. C'est devenu de plus en plus évident dès le début de la pandémie en 2020, avec la quantité de désinformation et le manque de confiance. Comme beaucoup d'autres professionnels de la santé et des sciences, j'ai ressenti un besoin sans cesse croissant dans ma collectivité et j'y ai rassemblé des membres partageant les mêmes idées pour lutter contre cette désinformation. J'ai créé un groupe appelé « Public Health Fact Checkers »Note de bas de page 13 pour soutenir nos communautés et leur fournir des renseignements de santé publique précis et pertinents.

Public Health Fact Checkers est un groupe de travail composé de jeunes professionnels et d'étudiants diplômés spécialisés en santé publique, épidémiologie, soins de santé, gestion des catastrophes, mobilisation communautaire, communications en temps de crise, etc. L'objectif de ce groupe était de répondre aux questions directes des membres de la collectivité sur la pandémie dans une approche accessible et sans jugement. J'ai constaté que de nombreuses personnes étaient considérées à tort comme étant « contre la science » ou des « négationnistes de la COVID » alors qu'en fait, leurs inquiétudes portaient davantage sur les institutions scientifiques et politiques que sur les concepts scientifiques eux-mêmes.

 

1.3 Regard sur l’avenir : les possibilités

Quelle que soit l'importance et la place de la science dans la culture et la société canadiennes, il n'en demeure pas moins que i) le financement de la science au Canada est insuffisant;Note de bas de page 14 ii) plusieurs obstaclesNote de bas de page 15 systémiques et institutionnels empêchent d'attirer, de former et de maintenir en poste les scientifiques et les chercheurs; iii) l'accès limité ou inexistant à la science et à ses avantages exclut les collectivités; et iv) il ne faut pas négliger le rôle de la confiance et des collectivités dans la science.

Sans un financement accru et stable des sciences et de la recherche, le Canada aura de la difficulté à suivre le rythme de ses pairsNote de bas de page 16 et à attirer et à retenir les talents dont il a besoin pour continuer de faire des découvertes qui sauvent des vies et des innovations technologiques, et à soutenir la mobilisation du grand public à l'égard de la science. Sans un accès libre et ouvert à la scienceNote de bas de page 17, il sera encore difficile de communiquer et de diffuser la science à grande échelle, et les gains réalisés en matière de confiance du public dans la science pourraient s'effriter. En l'absence d'une communication scientifique et d'une mobilisation publique inclusive et efficace, les intervenants et le grand public continueront de se heurter à des obstacles importants pour accéder à la science. Ces défis sont aussi des occasions que nous explorerons dans le présent rapport - des occasions pour faire en sorte que la science et la recherche au Canada soient plus inclusives, collaboratives, ouvertes, interdisciplinaires et réfléchies.

 

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2. Directions en matière de science et de recherche au Canada

Aujourd'hui, la science se déploie à différentes échelles. Des initiatives scientifiques peuvent se dérouler à l'échelle nationale et être facilitées par de grandes institutions comme les gouvernements (y compris les organismes et ministères fédéraux et provinciaux), des industries (comme les entreprises multinationales et nationales, ainsi que des entreprises en démarrage) et des établissements d'enseignement (notamment des établissements universitaire, des cégeps, des hôpitaux de recherche et des collèges). Cependant, la science peut également se déployer à plus petite échelle, grâce à des initiatives communautaires locales ou des organismes sans but lucratif. Collectivement, ces organisations apportent une contribution unique et essentielle à la science et à l'innovation au Canada et ailleurs.

En maintenant un écosystème scientifique sain, le Canada bénéficie de l'autonomie et de l'agilité nécessaires pour relever les défis actuels et futurs, comme la réponse aux futures pandémies. Bien que les avantages économiques d'axer la stratégie scientifique du Canada sur la recherche appliquée et les priorités de l'industrie puissent sembler évidents, il est tout aussi essentiel de soutenir la recherche fondamentale et exploratoire, étant donné que des percées scientifiques et les innovations qui changent le monde peuvent de produire dans des endroits inattendus.

Par exemple, dans les années 1990Note de bas de page 18, des chercheurs ont découvert des séquences répétitives inhabituelles dans l'ADN de bactéries. On sait aujourd'hui que ces répétitions sont les principaux loci impliqués dans le système CRISPR-Cas, un système dans lequel l'enzyme Cas, semblable à une paire de ciseaux moléculaires, peut être utilisée pour modifier des gènes dans différents organismes. De même, des chercheurs, dont la Dre Katalin Karikó et le Dr Drew Weissman, ont découvert comment modifier l'ARNm (une molécule qui porte les instructions pour fabriquer des protéines) afin qu'il puisse être utilisé pour produire des protéines spécifiques dans un organisme vivant. Avec les travaux du Dr Pieter Cullis (à l'Université de la Colombie-Britannique) sur la mise au point de nanoparticules lipidiques pour l'administration de médicaments, ces découvertes ont été essentielles au développement rapide des vaccins à ARNm Pfizer/BioNTech et Moderna contre la COVID-19.

En fin de compte, il est difficile de prédire les futures applications de la recherche fondamentale, mais sans ces découvertes clés, le monde serait complètement différent, et pas nécessairement pour le mieux.

2.1 Comment établissons-nous les priorités en matière de recherche?

Le systèmeNote de bas de page 19 permettant d'établir les priorités en matière de recherche (c.-à-d. les priorités de recherche qui seront soutenues et les chercheurs qui obtiendront du financement) est un indicateur marquant de ce à quoi nous accordons de la valeur, en tant que société, dans un contexte scientifique.

Lorsqu'il s'agit de science et de recherche au Canada, une source importante de financement et de soutien provient du gouvernement fédéral, avec de nombreux engagements décrits dans les budgets fédéraux annuels. Par exemple, en 2018Note de bas de page 20, il y a eu un budget fédéral historique qui a fait des investissements substantiels dans la recherche fondamentale, suivi d'engagements visant à étendre le soutien aux stagiaires en recherche en 2019Note de bas de page 21. Aucun budget n'a été annoncé en 2020, mais des investissements continus dans la science canadienne ont été réalisés tout au long de la pandémie. Dans le budget fédéral de 2021Note de bas de page 22, la science a soutenu des investissements ciblés, notamment dans l'intelligence artificielle, les technologies quantiques et la bio-innovation, tandis que le budget fédéral de 2022Note de bas de page 23 s'est concentré sur des investissements visant à accélérer l'innovation et à renforcer la propriété intellectuelle, ainsi que sur des investissements plus modestes dans diverses disciplines (comme la création de bourses d'études ciblées pour les chercheurs étudiants des communautés noires).

Aujourd'hui, les chercheurs universitaires et industriels continuent de faire pression pour obtenir un soutien accru pour leurs secteurs respectifs. Maintenant, il y a aussi un nombre sans cesse croissant d'appels ciblés pour du financement fédéral, qui peuvent donner lieu à des programmes de recherche fragmentés ou non viables et qui n'arrivent pas à suivre la cadence des changements de gouvernement. Nous devons veiller à ce que les priorités gouvernementales soient équilibrées, voire harmonisées, avec les besoins de la recherche fondamentaleNote de bas de page 24 et du développement technologique précoce, et avec ceux de l'innovation appliquée, dont le but est de mettre en œuvre des technologies et des découvertes émergentes.

Nous croyons qu'en trouvant un juste équilibre entre les sciences fondamentales et les sciences appliquées, le Canada pourra demeurer concurrentiel à l'échelle internationale à court, à moyen et à long terme. Il sera important que cet équilibre tienne compte à la fois des organismes de recherche communautaires et indépendants (c.-à-d. des entités qui mènent des travaux de recherche autres que les cégeps, les universités, les industries et les laboratoires gouvernementaux), ainsi que des organismes de recherche établis comme les établissements d'enseignement, les universités et l'industrie. Notre pays sera ainsi dans une position où nous travaillons de manière proactive pour relever les défis actuels et futurs au lieu d'y réagir. En reconnaissant la science en dehors des frontières institutionnelles traditionnelles et en fournissant un financement équitable aux organismes et aux acteurs qui y participent, nous imaginons diverses communautés qui mènent des initiatives scientifiques, renforcent la capacité de recherche afin d'améliorer les résultats pour les personnes directement concernées, et attirent l'attention sur des projets qui pourraient être laissés de côté par les voies de recherche traditionnelles.

2.2 Qui participe aux activités scientifiques et qui en tire des avantages?

La façon dont nous reconnaissons les institutions et les personnes doit également changer, y compris le recensement de celles qui réalisent des travaux scientifiques (discuté dans la section 4). Récemment, on a assisté à une évolution vers une reconnaissanceNote de bas de page 25 de la diversité et l'inclusion dans les programmes de recherche, les études scientifiques et les propositions de subventions.

Toutefois, l'inclusion des voix et des collectivités sous-représentées, sans tenir compte de l'équité, de la justice ou de la juste rémunération, constitue une autre forme d'exploitation. Cette approche descendante permet également aux chercheurs ayant un plus grand pouvoir ou une plus grande influence d'exploiter les collectivités sous-représentées à des fins de recherche personnelle, comme dans des situations passées où des chercheurs et des collectivités autochtones et racialisées ont été inclus dans des demandes de subvention ou des manuscrits, mais sans véritable consentement éclairé ou pouvoir de collaboration. Il convient de souligner que ce problème pourrait découler du fait que le système actuel encourage la diversité, mais qu'il est défaillant sur le plan de la responsabilité, n'effectuant à peu près pas de suivi ou de mesure du succès de la collaboration du point de vue de toutes les parties, et des retombées de la collaboration dans les domaines respectifs. Il serait possible d'envisager la mise en œuvre de moyens d'échanger des objectifs SMARTNote de bas de page 26 et de mesurer leur réalisation à l'aide d'outils existants (p. ex., un modèle LOGIQUE).

 

Nous sommes depuis toujours des chercheurs : la recherche menée par les Autochtones pour l'avenir

 

Taylor Morriseau : Bien que le Canada soit perçu comme un chef de file en matière de science et d'innovation, cette volonté de progrès scientifique s'est accompagnée de l'exploitation des terres, des connaissances et des corps des Autochtones. Pour briser ce cycle de recherche trop poussée et de services insuffisants, les nations autochtones réclament et affirment activement leur autodétermination en matière de recherche et de souveraineté des données. Au Manitoba, le First Nations Health and Social Secretariat of Manitoba (FNHSSM)Note de bas de page 27 est l'un de ces organismes dirigés par des Autochtones qui revendiquent le contrôle de la conception, de la mise en œuvre et de l'interprétation de la recherche en santé pour plus de 63 Premières Nations membres au Manitoba.

Qu'il s'agisse de l'élaboration de normes de recherche éthique, de la collecte de données d'enquête adaptées aux particularités culturelles ou de la direction d'initiatives de recherche participative communautaire, des organismes comme le FNHSSM sont des modèles de ce à quoi devrait ressembler l'avenir de la recherche en santé autochtone au Canada, avec un financement, un soutien et des ressources équitables. Cela comprend le renforcement des capacités des chercheurs autochtones comme la Dre Wanda Phillips-BeckNote de bas de page 28, qui a été nommée première titulaire d'une chaire de recherche autochtone en soins infirmiers au Manitoba. C'est la première fois qu'une personne travaillant pour un organisme autochtone communautaire obtient une chaire de recherche - ces postes sont normalement réservés aux scientifiques affiliés à des établissements universitaires.

En tant que peuples autochtones, nous sommes depuis toujours des chercheurs. La revendication de l'espace de recherche est un combat de tous les instants; toutefois, cette reconnaissance se fait attendre depuis longtemps.

 

2.3 Appels à l'action : comment établir une recherche durable à long terme

De façon générale, nous suggérons d'élaborer une vision de la science canadienne qui établit un équilibre entre la recherche dirigée par les chercheurs et les appels axés sur la mission, ainsi qu'entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, afin d'assurer la durabilité à long terme de la science et de la recherche au Canada. Nous proposons les mesures suivantes :

  1. Intégrer différents types de création et de systèmes de connaissances. Il faut inclure, protéger et financer les systèmes de connaissances non occidentaux en misant sur la propriété intellectuelle et les métadonnées culturellesNote de bas de page 29. Il est également important d'examiner les critères d'admissibilité des mécanismes de financement (p. ex., ceux des organismes de financement fédéraux) afin de s'assurer que les organismes de recherche ou les organismes communautaires non occidentaux sont reconnus comme des entités admissibles.
  2. Repenser la façon dont nous évaluons l'incidence de la recherche, en tenant compte de l'équité. Nous suggérons de définir des mécanismes (quantitatifs, qualitatifs et autres) pour évaluer les répercussions immédiates et à long terme des connaissances dans i) un domaine spécifique et ii) la société en général. Cela permettra d'élaborer un système d'évaluation plus global qui tient compte du mérite au-delà des mesures de rendement, notamment les publications et les subventions (voir la section 4.2.1). Nous recommandons également de prendre en considération le niveau de détail des approches lorsque l'on réfléchit à l'équité, et de s'assurer que l'incidence des mesures proposées puisse être évaluée (voir la section 4.2.3).
  3. Mettre en œuvre des mécanismes visant à décloisonner les disciplines. Les « sciences dures » (comme les sciences physiques et les sciences de la vie) doivent mieux collaborer avec les sciences sociales et humaines. Bien que des appels de propositions conjoints soient actuellement lancés, nous devons offrir des occasions et accorder de la souplesse (sur le plan de l'administration et de la gouvernance) aux organismes de recherche pour faciliter le décloisonnement de leurs disciplines. Par exemple, il faut élaborer des mécanismes pour que le financement fédéral ou provincial d'un étudiant affilié à deux départements de disciplines différentes soit attribué de manière équitable aux deux départements.
  4. Fournir un financement durable pour soutenir la science et la recherche au Canada. Par exemple, il existe des concours de subventions à l'innovation de plus grande envergure qu'il faudrait continuer de soutenir, comme l'initiative SuperclustersNote de bas de page 30 et le Fonds d'excellence en recherche Apogée CanadaNote de bas de page 31, qui visent à fournir des ressources pour créer des écosystèmes d'innovation de pointe et un avantage économique à long terme. De plus, pour établir et maintenir un réseau fiable de chercheurs, nous devons nous assurer de bien conserver l'expertise scientifique et technique sur laquelle s'appuient les entités. En d'autres termes, nous devons créer des programmes de financement durables pour les chercheurs. Ainsi, il serait urgent de mettre en place, et de maintenir, des mécanismes de financement à long terme pour les professionnels de la recherche en charge des plateformes d'instrumentation partagées dans les universités, qui sont essentiels au maintien de l'expertise scientifique et technique, en plus d'assurer la formation appropriée du personnel hautement qualifié concernant les équipements spécialisés.

 

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3. La science doit être collaborative et multidisciplinaire

La recherche est de plus en plus axée sur la collaboration. Par exemple, le nombre d'auteurs cités dans les publications universitaires a été multiplié par cinq au cours des 100 dernières annéesNote de bas de page 32, dont certaines comptent sur une liste de plus de 1 000 auteursNote de bas de page 33. Cela montre la nature de plus en plus collaborative de la science et le besoin grandissant d'infrastructures pour soutenir et encourager la collaboration. Et, comme l'a démontré la pandémie de COVID-19, la complexité et le caractère urgent des défis à grande échelle exigent des efforts coordonnés et collaboratifs.

3.1 Obstacles à la collaboration

Il existe plusieurs obstaclesNote de bas de page 34 à la mise en œuvre d'occasions de collaboration. Par exemple, le potentiel d'une collaboration dépend souvent des réseaux professionnels et sociaux d'un chercheur. Il peut être difficile de s'y retrouver dans ce domaine fermé, en particulier pour les femmesNote de bas de page 35. Des risques supplémentaires viennent compliquer la situation. Les chercheurs sont soumis à une forte pression pour publier régulièrement et peuvent hésiterNote de bas de page 36 à partager leurs idées de peur de se les faire voler. Les accords de propriété intellectuelle peuvent également être difficiles à mettre en place, tant au niveau national qu'international.

La nature concurrentielle de la recherche a un effet dissuasif sur la collaboration, l'échange d'idées et la recherche collective de connaissances. Plusieurs initiatives sont en cours pour améliorer la collaboration dans le milieu universitaire. Par exemple, des organismes comme MitacsNote de bas de page 37 et le programme Formation orientée vers la nouveauté, la collaboration et l’expérience en recherche (FONCER)Note de bas de page 38 du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), contribuent à soutenir l'innovation et à faciliter les collaborations entre l'industrie et le milieu universitaire. Le CIFARNote de bas de page 39 soutient les chercheurs et les efforts de mobilisation des connaissances en accordant la priorité aux résultats à risque élevé, mais dont les retombées sont importantes. Des discussions de plus grande portée se poursuivent sur l'écorechercheNote de bas de page 40 dans le but de redéfinir la manière dont nous abordons la science et la recherche en premier lieu.

 

La communauté internationale doit tirer les leçons des efforts déployés au niveau local pour lutter contre la pandémie

 

Chelsie Johnson : Le Centre de santé communautaire TAIBUNote de bas de page 51 et l'Université de Toronto se sont associés à des intervenants de Toronto, au Canada, de São Paulo, au Brésil, et de Brighton, au Royaume-Uni, pour collaborer au projet de recherche Building Back Better from Below (B4): Harnessing Innovations in Community Response and Intersectoral Collaboration for Health and Food Justice Beyond the COVID-19 Pandemic.

Cette collaboration transatlantique permettra de jumeler les connaissances issues de la recherche en sciences sociales avec les expériences vécues par des activistes, des entrepreneurs sociaux, des travailleurs de première ligne et des fonctionnaires locaux afin de définir des stratégies pour des mesures futures visant à perturber les modèles d'inégalité bien ancrés et à garantir les droits en matière de santé et la sécurité alimentaire après la pandémie. Nous sommes conscients de la corrélation qui existe entre les défis posés par la pandémie en matière de santé, d'équité alimentaire et de représentation démocratique. Par conséquent, nous adopterons une approche axée sur la recherche-action pour analyser les trajectoires, les résultats et la durabilité des innovations et des collaborations de base qui ont vu le jour depuis mars 2020 parmi les activistes et les fournisseurs de services de première ligne travaillant avec les communautés marginalisées et racialisées dans les trois villes mentionnées plus haut, qui sont socialement diverses et économiquement dynamiques, mais marquées par l'inégalité.

Nos questions de recherche primordiales sont les suivantes : comment les innovations locales et les collaborations multipartites qui ont vu le jour pendant la pandémie de COVID-19 à São Paulo, à Toronto et à Brighton peuvent-elles être maintenues? Quelles leçons tirées de leurs expériences peuvent être intégrées dans des stratégies visant à maintenir des réponses postpandémiques intersectorielles efficaces aux défis de l'équité en matière de santé, de la sécurité alimentaire et de la représentation démocratique dans des environnements urbains très inégaux des deux côtés de l'Atlantique?

 

3.2 La science est mondiale

Les collaborations internationales continuent de se développerNote de bas de page 41. Des données de longue date montrent que la corédaction internationale des publications de recherche entraîne des taux de citationNote de bas de page 42 plus élevés que la corédaction nationale (bien que cela puisse être attribuable au fait que les chercheurs plus établis ont un meilleur accès aux collaborations internationales) que les auteurs nationaux (bien que cela puisse être dû au fait que les chercheurs plus établis ont plus facilement accès aux collaborations internationales).

De toute évidence, l'un des avantages de la coopération internationale est un meilleur échange de renseignements, qui va au-delà de la recherche et des publications universitaires. Un exemple très médiatisé de collaboration internationale est la réponse à la pandémie mondiale de COVID-19Note de bas de page 43. En avril 2022, le vaccin contre le COVID-19 le plus couramment administré au CanadaNote de bas de page 44 était le résultat d'une collaboration internationaleNote de bas de page 45 entre des partenaires de l'industrie ayant leur siège social au Canada, en Allemagne et aux États-Unis - misant tous sur des données de séquençage. Les technologies qui ont permis la mise au point de ce vaccin reposent sur des décennies de travaux entrepris à l'Université de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 46 et à l'Université de la PennsylvanieNote de bas de page 47. Des organismes comme la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI)Note de bas de page 48 facilitent la coopération internationale pour faire face aux futures épidémies. Il y a aussi des scientifiques qui ont été formés au Canada et qui sont maintenant à l'étranger. Cette diaspora scientifique offre la possibilité de redéfinir le rôle que jouent les sciences et la technologie sur la scène internationale et de renforcer les partenariats internationaux du Canada grâce à la diplomatie scientifique. Les avantages de la collaboration internationale sont clairs, mais il appartient aux décideurs d'encourager et de favoriser ces relations en soutenant des programmes semblables au CEPI et en élargissant les programmes de recherche et d'études à l'étranger pour les scientifiques de tous les niveaux (comme le Programme d'échanges universitaires Canada-ChineNote de bas de page 49 et les bourses d'études au Canada)Note de bas de page 50.

 

L'écoscience : mettre l'accent sur la réflexion ou la rapidité?

 

Landon Getz : La science ne nous dit pas ce que nous devrions faire, mais seulement ce qui pourrait arriver après avoir fait un choix. Plusieurs autres disciplines sont en cause dans la décision concernant ce que nous devrions faire, notamment les sciences politiques, l'éthique, les sciences sociales et les sciences humaines.

La science lente s'inspire du mouvement populaire appelé « écogastronomie », qui a commencé par s'opposer à l'industrie croissante de la restauration rapide dans le monde. Aujourd'hui, l'écogastronomie (et en fait l'écoscience) se concentre moins sur la rapidité et davantage sur des approches globales à l'égard de l'alimentation qui, selon la philosophie de Slow Food International, sont bonnes, saines et justes. De mon point de vue, lorsque nous faisons de l'écoscience, nous réfléchissons davantage à l'incidence de notre science sur le monde, au-delà du travail lui-même, et nous essayons d'incorporer certaines des disciplines qui nous aident à décider ce que nous devrions faire, pour finalement déterminer comment nous voulons faire notre science, quelle science faire, et pourquoi cette science est importante à une plus grande échelle.

J'utilise ce cadre d'écoscience pour mettre à contribution mes connaissances en génétique microbienne et mon profond intérêt pour l'éthique dans un certain nombre de conversations sur les modifications génétiques de la nature et de nous-mêmes. Je pense qu'il est important pour les scientifiques de réfléchir à la manière dont leur travail pourrait être utilisé et si ces utilisations sont des choses que nous voulons, ou pour lesquelles nous sommes prêts.

 

3.3 Transition vers la recherche multisectorielle

Des problèmes de collaboration se posent également entre le milieu universitaire et d'autres secteurs. Bien que la création de connaissances se produise partout, une grande partie du financement et de la reconnaissance de la création de connaissances a été historiquement centrée sur le monde universitaireNote de bas de page 52 et soulignée par des publications universitaires. D'autres secteurs créent régulièrement et détiennent des connaissances, notamment l'industrie, le gouvernement, les organismes sans but lucratif, les organismes communautaires et les collectivités.

Il faut prendre en considération ici plusieurs défis. Tout d'abord, la distribution des fonds, les droits à la connaissance et l'autonomie posent encore un défi pour la collaboration intersectorielle. Les fonds sont accordés en priorité aux industries, aux gouvernements et aux établissements universitaires, et les organisations sans but lucratif, les organismes communautaires et les collectivités ne bénéficient essentiellement d'aucune indépendance. Ces problèmes créent une rivalité entre les secteurs, réduisant à la fois le maintien en poste des experts intersectoriels et l'intérêt pour la poursuite des efforts de collaboration. Par exemple, au lieu de soutenir la création de connaissances indépendantes ou véritablement collaboratives, les collectivités sont souvent exploitées au profit de la rechercheNote de bas de page 53. Enfin, des objectifs mal harmonisés entre les partenaires industriels et universitaires potentiels peuvent créer des obstacles à la collaboration entre les secteurs. Les plus grands défis peuvent être des contraintes de temps, des problèmes liés aux négociations sur la propriété intellectuelle, des différences dans la culture de l'innovation, ainsi qu'un manque de sensibilisation ou d'exposition aux activités de recherche entre l'industrie et les universités. Néanmoins, le milieu universitaire et l'industrie accordent tous deux de l'importance à la publication de travaux de recherche et à la recherche et au développement (R et D). Il est donc nécessaire de passer d'un modèle de création de connaissances centré sur les universités à un modèle décentralisé de reconnaissance des connaissances.

En outre, la pandémie a ralenti les progrès économiques et exercé une forte pression sur les finances publiques. Bien que cette situation puisse peser sur les possibilités d'investissement public dans la recherche, elle accroît les occasions de coordination et de collaboration avec le secteur privé du Canada en matière de recherche appliquée et fondamentale. Comme nous l'avons vu à la section 2.1, la recherche appliquée est importante pour offrir aux Canadiens des innovations, mais la recherche fondamentale élargit les connaissances nécessaires au progrès scientifique. Un meilleur ciblage des investissements dans la recherche fondamentale, jumelé à des partenariats public-privé plus étroits, pourrait stimuler la croissance de la productivité à un coût moindre pour les finances publiques. L'importance de ce niveau de coopération et de collaboration entre les secteurs a été reconnue dans le budget fédéral de 2021, dans lequel des fonds spécifiques ont été affectés à la construction des infrastructures nécessaires à la fabrication de vaccins au niveau nationalNote de bas de page 22. Si ce niveau de coopération en matière de R et D simplifie l'accessibilité et la disponibilité des innovations pour les Canadiens, il s'agit d'un outil encore sous-utilisé, et la culture scientifique devrait évoluer pour en tenir compte.

Les connaissances produites dans les établissements universitaires du Canada ont également une incidence sur la manière dont les enjeux sont classés en ordre de priorité, politisés et financés. C'est pourquoi la collaboration entre les scientifiques et les économistes est si importante et doit être renforcée. La science doit être mieux intégrée aux politiques économiques et les scientifiques doivent davantage tenir compte de l'économie d'orienter et d'éclairer les décisions politiques.

 

Faire le pont entre disciplines : avions, conception et modélisation

 

Andréa Cartile : Je poursuis des études de doctorat dans la recherche de moyens de modéliser le processus de conception d'un avion. Les avions sont des machines complexes comprenant des centaines de milliers de pièces et des millions de lignes de code de programmation. Le développement d'un avion s'échelonne sur une période de six à sept ans, auquel participent des milliers d'experts du monde entier dans de nombreuses disciplines différentes, et ce processus coûte généralement plusieurs milliards de dollars. La loi exige également que les avions soient sûrs, ce qui représente une grande partie du temps et du coût de développement. Bien qu'il existe des solutions logicielles disponibles dans le commerce qui tentent de faciliter ce processus, il reste de nombreux défis à relever. Ma recherche vise à mettre au point un modèle qui reflète mieux la complexité du processus de conception des avions afin qu'il puisse être utilisé pour élaborer une solution logicielle qui soutienne mieux le processus.

J'ai la chance de faire de la recherche en milieu industriel et de bénéficier d'un financement à la fois de l'industrie et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG)! J'ai l'occasion de consulter deux entreprises aérospatiales différentes et de recevoir des commentaires d'un large éventail d'experts multidisciplinaires en aérospatiale. À mon avis, l'adoption d'une approche de recherche universitaire pour relever un défi industriel appliqué est le meilleur des deux mondes, car je bénéficie d'un bon mélange de formation et d'expériences.

 

3.4 Formation universitaire et multidisciplinarité

Dans le cadre d'une approche multidisciplinaire, les chercheurs abordent des problèmes à partir de leur propre domaine et travaillent ensemble pour les étudier. Dans le cas d'une approche interdisciplinaire, les chercheurs abordent des problèmes qui touchent plusieurs disciplines, en dépassant les limites de leur propre domaine. Si la collaboration multidisciplinaire et interdisciplinaire est avantageuse, sa mise en œuvre dans l'enseignement et la recherche universitaires se heurte à plusieurs difficultésNote de bas de page 54.

La nature cloisonnée des universités se reflète dans la séparation des organismes de financement fédéraux, où les sciences sociales sont traitées séparémentNote de bas de page 55 des sciences naturelles et de la santé. Des événements déterminants comme la pandémie de COVID-19 ont mis en lumière la nécessitéNote de bas de page 56 d'adopter une « approche multidisciplinaire, coordonnée à l'échelle mondiale, qui permette de réaliser des études harmonisées à grande échelle, en mesure de fournir des données probantes solides pour orienter les politiques ». La multidisciplinarité et l'interdisciplinarité restent des sujets de discussion récurrentsNote de bas de page 57,Note de bas de page 58 dans le milieu universitaire, lequel tente de s'attaquer aux structures profondément cloisonnées de ses disciplines. Le décloisonnement de la recherche crée des occasions intersectorielles d'accroître l'efficacité et la productivitéNote de bas de page 59 jusqu'alors inimaginables.

La multidisciplinarité signifie également qu'il faut trouver davantage d'espaces pour des questions comme l'éthique, les sciences sociales et les sciences humaines, qui sont sans aucun doute importantes pour le processus scientifique, mais qui sont aussi souvent exclues des espaces scientifiques. La science ne se déroule pas dans le vide, et ces domaines fournissent un contexte et des lignes directrices pour une recherche de qualité et responsable. Par exemple, les études systématiques des nouvelles innovations par les économistes et autres spécialistes des sciences sociales découlent du souci d'améliorer la connaissance quantitative des sources de la croissance économique. Les principes de l'économie montrent que les facteurs de production traditionnels (le capital et le travail) ne représentent qu'une infime partie de la croissance économique et, par conséquent, suscitent un intérêt pour comprendre pourquoi les mécanismes du marché ne sont pas aussi bien adaptés pour affecter des ressources pour la production et la transmission des connaissances que pour les biens et services plus traditionnels. D'autres exemples d'approches multidisciplinaires comprennent l'intégration d'outils d'une discipline dans une autre, comme l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le domaine de la chimie ou le développement d'outils logiciels pour soutenir la conception d'avions. La formation des diplômés devrait leur donner la possibilité d'adopter des outils et des techniques d'autres disciplines pour faire progresser un domaine de recherche donné.

 

Faire le pont entre la science et le droit

 

Sophie Poirier : Je suis étudiante en deuxième année de droit à l'Université de Montréal et je travaille chez Lavery, un cabinet québécois réputé. Avant d'étudier le droit, j'ai poursuivi des études en sciences de la santé au cégep. Même si j'étudie maintenant dans un domaine non scientifique, mes études antérieures m'ont permis de prendre conscience de l'importance de tenir compte des sources scientifiques dans tous les domaines.

Dans mes cours de droit, j'ai cherché à en apprendre davantage sur le consentement aux soins, l'aide médicale à mourir et les soins en établissement. J'ai compris l'importance de prendre en considération la science pour créer les lois les plus précises possible. Cependant, il existe toujours un fossé entre les lois théoriques et leur application dans un cadre médical. C'est l'un des nombreux exemples où un pont entre la science et le droit peut avoir une incidence.

Cette année, j'ai travaillé pour le professeur Regis et le H-PODNote de bas de page 60 sur un projet de recherche visant à explorer les effets normatifs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le droit au niveau national. Plus précisément, ce projet a analysé les lois, les règlements et la jurisprudence de différents pays dans le but de comparer l'approche de ces pays vis-à-vis des recommandations de l'OMS. Ce projet unique établit un lien entre les recommandations fondées sur la science et le droit qui a des répercussions sur notre vie quotidienne. Notre société bénéficierait d'énormes avantages d'un plus grand nombre de projets pluridisciplinaires comme celui-ci.

 

L'infrastructure universitaire et de recherche actuelle est rigide, cloisonnée et institutionnalisée, de sorte qu'elle est mal adaptée aux collaborations entre des personnes de certaines disciplines. La recherche en vase clos peut donner lieu à des efforts de recherche à long terme fragmentés qui couvrent de nombreux domaines. Par exemple, la mise au point et l'administration de vaccins exigent des efforts coordonnés en biochimie, en virologie et en santé publique, pour n'en citer que quelques-uns. De même, les changements climatiques constituent un problème urgent qui touche d'innombrables disciplines. Le cloisonnement des données, des chercheurs et des motivations ne fera que restreindre la capacité du Canada à trouver des solutions à des problèmes de cette envergure. Nous croyons que la promotion du décloisonnement des disciplines de recherche et des personnes qui y participent (au-delà des chercheurs universitaires, industriels et gouvernementaux actuels; voir la section 2.2) pourrait contribuer à normaliser une approche multidisciplinaire à l'égard des enjeux actuels et assurer l'inclusion de multiples types d'entités qui mènent des travaux de recherche.

Les stagiaires représentent un point d'entrée logique, mais actuellement, les diplômes de premier cycle peuvent être rigides et limités à des sujets propres à un programme. Les étudiants de troisième cycle ne disposent souvent pas du soutien nécessaire pour entreprendre des projets pluridisciplinaires, en raison d'un financement limité, d'un manque d'accès à des cours en dehors du domaine principal du diplôme, d'un manque de supervision pluridisciplinaire disponible ou de limitations des comités d'évaluation pluridisciplinaires. Bien entendu, cette situation diffère selon les universités et les programmes d'études supérieures, ce qui peut entraîner des inégalités entre les personnes qui étudient la même spécialité.

 

Collaborer pour accélérer les découvertes : l'Institut Courtois de l'Université de Montréal

 

Audrey Laventure : L'Institut CourtoisNote de bas de page 61, un nouvel institut créé à la suite du don exceptionnel de 159 millions de dollars de la Fondation Courtois à la Faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal, contribuera à la fusion de trois disciplines différentes : la chimie, la physique et l'informatique. L'Institut Courtois offrira un environnement stimulant et collaboratif qui nous donnera les moyens et surtout la liberté de repousser les limites actuelles de nos connaissances sur les matériaux et de faciliter ainsi la réalisation de futures percées dont nous serons en mesure d'exploiter le plein potentiel.

L'Institut Courtois servira de point d'ancrage pour la mobilisation des initiatives dans le domaine des matériaux. En recourant davantage aux outils de l'intelligence artificielle et en s'associant à la communauté des matériaux, des professeurs, des professionnels de la recherche et des étudiants pourront élaborer un programme scientifique axé sur la recherche fondamentale en mesure de répondre aux grands défis du XXIe siècle, notamment créer des batteries plus vertes et trouver des substituts aux minéraux polluants à extraire, préparer des objets fonctionnels imprimés en 3D, contribuer au développement de l'ordinateur quantique et robotiser nos processus, pour n'en citer que quelques-uns.

En tant que titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les matériaux polymères fonctionnels, l'un de mes objectifs de recherche est d'accélérer la recherche sur la fabrication additive d'objets présentant des architectures 3D complexes et des propriétés fonctionnelles. Les ressources de l'intelligence artificielle sont essentielles à l'exploration rapide des conditions qui mènent aux relations structure-traitement-propriétés souhaitées.

Au nom de l'équipe interdisciplinaire qui a participé à la conception de ce projet, je tiens à souligner que l'Institut Courtois encouragera la prise de risques et l'innovation, et qu'il est extrêmement excitant de faire partie de cette aventure scientifique qui débouchera sur de grandes découvertes.

 

3.5 Appels à l'action : comment favoriser une recherche mondiale, multisectorielle et interdisciplinaire

  1. Mesurer le succès des relations et de la collaboration entre les secteurs, en mettant l'accent sur l'organisme de recherche, l'indépendance, la reconnaissance, le financement et le soutien accessible. Le succès de la collaboration devrait être mesuré en fonction des retombées les plus pertinentes pour chacun des groupes de connaissances concernés. Ces mesures devraient être appliquées aux publications axées sur l'université pour inclure d'autres facteurs d'impact les plus importants pour chaque groupe de connaissances. Nous devons également financer davantage de programmes intersectoriels, comme le Programme visage municipalNote de bas de page 62 du FRQNT où les chercheurs peuvent collaborer avec des villes pour jeter des ponts entre le milieu universitaire, les organismes administratifs et les personnes vivant dans ces villes.
  2. Améliorer le financement des secteurs non universitaires. Il faut accroître l'accès au financement et chercher à faire reconnaître la production de connaissances par les organismes sans but lucratif, les organismes communautaires et les collectivités. Une amélioration de l'établissement des priorités, de l'accès et de la disponibilité des subventions pour la collaboration avec des évaluations formelles des avantages pour chaque groupe de collaborateurs permettrait d'accroître l'imputabilité; ces stratégies efficaces et mesurables peuvent être mises en œuvre dans tout type de collaboration. Parmi les autres avantages de la coopération intersectorielle, il convient de mentionner un meilleur accès aux infrastructures de soutien pour mener des travaux internationaux, à l'expertise en matière de propriété intellectuelle, aux administrateurs et aux évaluations des répercussions.
  3. Créer et financer de manière durable des occasions de formation intégrée dans l'enseignement supérieur afin de promouvoir le mouvement entre les disciplines et les secteurs. L'éducation et la recherche doivent s'éloigner des disciplines traditionnelles et s'orienter davantage vers une formation globale axée sur les compétences, dans le cadre de laquelle une personne peut acquérir les connaissances nécessaires pour résoudre des problèmes concrets. Cette évolution peut être soutenue par des partenariats avec des établissements universitaires, l'industrie, des gouvernements, des organismes sans but lucratif, des organismes communautaires et des dirigeants communautaires afin d'offrir des stages ou des programmes d'enseignement coopératif pour que les étudiants puissent être exposés à de nombreux secteurs liés à leurs études. Ces occasions de formation pourraient explorer des créneaux comme la politique, la diplomatie scientifique, la communication scientifique, l'entrepreneuriat, le transfert de technologie et la propriété intellectuelle.
  4. Renforcer le rôle des partenariats public-privé pour favoriser une meilleure intégration de la science dans les politiques publiques. Par exemple, le CIRANO au Québec s'efforce de participer au processus décisionnel stratégique de ses partenaires gouvernementaux, parapublics et privés par la production et le transfert de connaissances universitaires.
  5. Créer davantage d'occasions pour les programmes d'échanges de chercheurs, tant au Canada qu'à l'étranger, et accroître le soutien aux programmes d'échanges existants. L'établissement de relations internationales et la promotion de l'échange de connaissances à tous les niveaux de la science peuvent donner lieu à la mise sur pied de partenariats de recherche fructueux dans tous les secteurs. Par exemple, le programme Mitacs Globalink finance des voyages entre le Canada et des partenaires internationaux pour permettre aux étudiants et aux chercheurs postdoctoraux de réaliser des projets de recherche. Parmi les travaux en cours, il convient de mentionner le groupe d'experts du Conseil des académies canadiennes qui examine les pratiques exemplaires en matière de sélection de partenaires internationaux en science, technologie et innovation.

 

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4. Les chemins vers la science

Les voies traditionnelles d'accès aux carrières scientifiques ont historiquement exclu différentes communautés en raison de divers obstacles législatifs, financiers et sociétaux. Bien que des efforts soient déployés pour accroître la participation des groupes en quête d'équité dans le domaine des sciences, le modèle linéaire de type « pipeline » ne rend pas compte de la réalité des carrières scientifiques d'aujourd'hui et est intrinsèquement limitatifNote de bas de page 63,Note de bas de page 64,Note de bas de page 65 quant à savoir qui devientNote de bas de page 66 scientifique.

Comme le décrivent Batchelor et coll., « une approche contemporaine des carrières scientifiques devrait ressembler davantage à une série de parcours qui s'adaptent aux besoins de chacun », que l'on appelle également le modèle de rivières en tressesNote de bas de page 67. De la même manière qu'une rivière est alimentée par de nombreux cours d'eau et bassins versants, la main-d'œuvre scientifique devrait être composée de personnes de cultures, d'origines, de statuts socioéconomiques et d'expériences éducatives/professionnelles différents et leur être accessible. Cette main-d'œuvre en tresseNote de bas de page 67 « signifie qu'il faut créer des moyens de soutenir, de retenir et, si nécessaire, de réengager les professionnels de la science, quel que soit leur parcours, peu importe le moment où ils se joignent, et quelle que soit la rapidité de leur parcours ». Le monde continue d'évoluer, et la communauté scientifique doit en faire autant.

Ce changement à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté scientifique doit se produire à plusieurs endroits et niveaux afin de passer d'un modèle de main-d'œuvre similaire à un pipeline à celui ressemblant à une rivière en tresses. Pour ce faire, il faut tenir compte des voies d'accès à la science, les voies d'accès au paysage de la formation scientifique et universitaire, ainsi que les voies d'accès au sein et au-delà du milieu universitaire. Ces dimensions ne façonnent pas seulement la manière dont nous interagissons avec la science et les carrières scientifiques poursuivies par les personnes; elles influencent en fin de compte qui interagit avec la science, qui devient scientifique et qui progresse en tant que scientifique.

 

Natasha Jakac-Sinclair, économiste de la santé

 

Natasha Jakac-Sinclair : Je travaille dans le domaine de l'économie de la santé - un domaine qui tente d'évaluer la valeur des nouvelles technologies de la santé par rapport à ce qui est déjà disponible dans la société. J'aime ce domaine parce qu'il m'oblige à comprendre les problèmes non seulement dans une optique scientifique (p. ex., en lisant les résultats d'un essai clinique), mais aussi à travers l'intersection de la science avec la politique, les finances et l'économie (p. ex., pourquoi payer pour le médicament?).

J'y suis arrivée en étudiant d'abord la biologie. Tout au long de mes études de premier cycle, j'ai été exposée à des questions scientifiques controversées, comme la modification de gènes, en laboratoire et en discutant avec des amis. De plus je défendais ardemment les modèles des Nations Unies. J'ai donc abordé des sujets comme les bébés sur mesure pour en débattre. Cet enjeu a fait sortir la science du milieu universitaire et m'a incitée à poursuivre des études de maîtrise, ce qui m'a permis de travailler en permanence au carrefour de la science et de la politique. Mon établissement d'enseignement a également collaboré avec l'industrie pour proposer des stages aux étudiants et m'a appris à mettre en œuvre des solutions qui ont une incidence sur la façon dont les gens interagissent avec le système de santé.

Mon expérience montre à quel point de nombreuses disciplines et activités extrascolaires ont contribué à façonner ma vision du rôle de la science dans la société en tant que domaine multidimensionnel.

 

 

L'intersection du génie, du développement des affaires et de la politique

 

Ali Sbayte : Je suis ingénieur électricien qui aime le juste équilibre entre le génie, le développement des affaires et la politique. Ayant obtenu mon diplôme d'ingénieur, j'ai le sentiment d'avoir développé le bon état d'esprit et acquis les connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes mondiaux en appliquant des concepts scientifiques.

J'ai travaillé au Japon et acquis une expertise technique dans le développement de la conduite autonome en tant que concepteur de logiciels. J'ai ensuite décidé de cofonder une entreprise en démarrage dans le secteur des technologies vertes pour réduire les déchets plastiques. Puisque j'aime le travail en équipe et que je possède de solides compétences en leadership dans l'élaboration et la gestion de projets, ainsi que d'une expertise technique, j'ai travaillé sur un projet dans une entreprise en démarrage pour prototyper et développer le matériel d'un camion urbain fonctionnant entièrement à l'électricité. Aujourd'hui, je travaille comme concepteur de logiciels dans le secteur des services publics.

Ce faisant, j'ai travaillé en étroite collaboration avec d'autres ingénieurs et scientifiques, et je comprends l'importance de la politique dans le secteur de l'énergie. J'ai également suivi des cours parascolaires sur l'entrepreneuriat. Pour résoudre des problèmes concrets, surtout dans le monde interconnecté d'aujourd'hui, il faut inévitablement compter sur un ensemble bien équilibré d'expériences personnelles et sur la collaboration avec des personnes d'horizons différents.

 

 

Trouver ma place dans la science

 

Sara Guzman : En 2019, j'ai obtenu un baccalauréat en sciences, avec une majeure en biologie et une mineure en chimie, à l'Université Vancouver Island. Comme beaucoup de gens, une fois que j'ai obtenu mon diplôme, j'étais frustrée parce que je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. J'ai postulé à de nombreux emplois qui m'intéressaient, dont un poste unique de technicienne en dépistage de drogues au BC Centre on Substance Use (BCCSU).

À ma grande surprise, j'ai obtenu le poste à la BCCSU, et j'ai été l'une des premières chimistes du projet (et la première femme technicienne en dépistage de drogues). Pendant deux ans, j'ai élaboré du matériel de formation et mis à contribution mes connaissances en chimie pour offrir un service novateur de réduction des méfaits en première ligne de la crise des surdoses en Colombie-Britannique. À l'aide d'un spectromètre et de bandelettes de test immunologique, j'ai testé une variété de substances (y compris des drogues illicites) pour aider les personnes qui consomment des drogues à prendre des décisions plus éclairées. Cette expérience m'a permis de comprendre comment fonctionne la recherche en dehors d'un cadre universitaire ou d'un laboratoire. C'était la première fois que je pouvais voir comment la recherche peut contribuer à mieux orienter les politiques et la prestation de services, et elle m'a permis de constater les répercussions des développements scientifiques sur la santé publique.

Même si je voulais continuer de faire une différence dans la crise des surdoses, je voulais aussi élargir mes connaissances et mettre en pratique mes compétences en chimie. J'ai quitté le BCCSU et je travaille maintenant comme chimiste au sein de l'équipe de recherche stratégique et de développement scientifique de Santé Canada. J'ai un accès illimité à différentes technologies, que j'utilise pour analyser et quantifier les substances contrôlées, ainsi que pour élucider les composés psychoactifs et les précurseurs qui sont nouveaux sur le marché des drogues illicites.

Après avoir obtenu mon diplôme de premier cycle et avoir travaillé pendant plusieurs années, j'ai finalement trouvé un domaine de la chimie qui me passionne vraiment. Cet automne, je commencerai des études supérieures en chimie à l'Université de la Colombie-Britannique, où je me concentrerai sur la surveillance automatisée des mécanismes de réaction, les nouvelles substances psychoactives et les voies de synthèse utilisées dans les laboratoires clandestins. J'espère que, pendant et après mes études, je pourrai mettre en œuvre des recherches de pointe dans des projets susceptibles d'avoir une incidence directe sur les politiques publiques, la santé et la sécurité. J'espère également contribuer à la recherche sur le profilage de synthèse qui touchera divers groupes au sein du gouvernement, du milieu universitaire et du public.

 

 

4.1 Les voies d’accès à la science

 

Le fait de multiplier les voies d'accès à la science permet à différentes personnes de s'intéresser à la science, et ce, à différents moments de leur vie. Cela peut commencer dans les salles de classe des écoles primaires ou secondaires où, dans certains cas, une mise à jour est nécessaire en ce qui concerne l'approche à l'égard de l'enseignement des sciences. Par exemple, des élèves ont déjà dit que les programmes d'étude sur le climat sont incohérentNote de bas de page 68, et que les manuels sont souvent dépassés. Comme indiqué sur le site Parlons sciencesNote de bas de page 69, moins de 50 % des élèves du secondaire obtiennent leur diplôme dans les domaines des STIM, alors qu'environ 70 % des emplois au Canada, qu'il s'agisse du secteur des soins de santé ou des métiers spécialisés, exigent maintenant un certain niveau de formation en STIM. De plus, les programmes scientifiques actuels peuvent influencer la perception des carrières scientifiques en exposant les enfants à des stéréotypes, à une vision limitée de la valeur de la science dans la société et à des idées de la science centrées sur l'Occident qui minimisent les modes de connaissance autochtones, lesquels tiennent compte d'une approche plus globale, relationnelle et intergénérationnelle de la connaissance.

En réorganisant les programmes scientifiques, nous pourrons refléter la nature changeante de la science dans notre société et permettre à la prochaine génération de scientifiques et de travailleurs d'acquérir les compétences essentielles requises pour relever les nouveaux défis mondiaux, par exemple les mesures de lutte contre les changements climatiques et les futures pandémies. Pour ce faire, nous devons revoir ou enrichir l'enseignement actuel de la maternelle à la 12e année et nous assurer que nous soutenons et reconnaissons les efforts des enseignants qui se surpassent pour susciter la curiosité et la passion des sciences chez les élèves.

Mais la découverte de la science et de ses méthodes ne doit pas nécessairement se limiter aux cours de sciences de la maternelle à la 12e année. Elle peut s'effectuer dans le cadre d'une variété d'occasions de mobilisation et d'expériences informelles dans le domaine des STIM, notamment les programmes participatifs communautaires, les programmes techniques, les stages universitaires et industriels, la formation continue, les programmes de mentorat, l'intersection de la science avec d'autres disciplines, etc. En faisant participer les enfants et les jeunes dans différents contextes, nous pouvons démystifier l'idée que les carrières dans les domaines des STIM sont réservées à des sous-ensembles spécifiques de la population.

 

Les expériences informelles en matière de STIM ne manquent pas au Canada

 

Aventures E2Note de bas de page 70 est un organisme canadienne sans but lucratif qui organise des excursions virtuelles, interactives et en direct pour aider les enseignants, les écoles et les commissions scolaires à établir un lien entre leur programme d'études et des applications concrètes. En collaborant avec diverses entreprises, son équipe emmène les élèves d'un bout à l'autre du pays explorer des systèmes pour voir comment les sciences, la technologie, l'ingénierie, les arts et les mathématiques s'appliquent au monde réel.

Parlons sciencesNote de bas de page 71 est un organisme de bienfaisance national qui s'engage à préparer les jeunes aux nouvelles exigences en matière de carrière et de citoyenneté dans un monde qui évolue rapidement. Pour ce faire, il collabore avec des universités, des collèges et des instituts de recherche, ainsi qu'avec plus de 3 000 bénévoles, afin de sensibiliser les jeunes Canadiens aux sciences.

Soapbox ScienceNote de bas de page 72 est une plateforme de sensibilisation visant à promouvoir les femmes et les scientifiques non binaires, ainsi que les activités scientifiques qu'elles mènent. Leurs événements transforment les espaces publics en une arène d'apprentissage public et de débat scientifique où chacun a la possibilité d'apprécier des scientifiques de premier plan, d'apprendre d'eux, de les chahuter, les remettre en question et les questionner, d'interagir avec eux et de s'en inspirer.

Visions of Science Network for LearningNote de bas de page 73 est un organisme de bienfaisance ayant pour but d'améliorer les résultats scolaires et le développement positif des jeunes issus de communautés marginalisées et à faible revenu en les faisant participer de manière significative aux domaines des STIM et à la recherche. Pour ce faire, il organise des ateliers de sensibilisation, des clubs STIM communautaires et d'enrichissement scolaire, et soutient le perfectionnement de leaders communautaires dans le domaine des STIM.

 

 

Intéresser les enfants à la science en dehors de la classe

 

Keeley Aird : Le parcours débouchant sur une carrière scientifique est souvent considéré comme difficile. Les sciences et les mathématiques sont deux matières dans lesquelles vous vous identifiez soit comme « bon », soit comme « mauvais ». C'est cette perception que je veux changer grâce à mon organisation, STEM Kids Rock (SKR).

À l'école primaire et au secondaire, j'avais des difficultés en sciences, et de nombreux enseignants et conseillers m'ont dit que les sciences n'étaient pas pour moi, pensant qu'ils me guidaient vers des sujets dans lesquels je serais « très bonne ». On partait du principe que les notes étaient le signe de votre réussite et de votre future carrière.

Mes parents, qui ne sont pas des spécialistes des sciences ou des mathématiques, nous ont emmenés, mon frère et moi, dans des centres scientifiques, des zoos et des musées parce qu'ils ont vu la joie que nous éprouvions à apprendre tout et n'importe quoi. Cette expérience d'apprentissage informel a changé la donne pour moi. Elle m'a donné la résilience nécessaire pour persévérer dans le parcours scolaire des STIM. Elle m'a finalement conduit à l'Université McMaster. Je poursuis actuellement des études spécialisées en sciences de la Terre et de l'environnement et travaille à l'obtention de mon certificat de géoscientifique professionnelle afin de pouvoir devenir géologue.

Je me rends compte que peu d'enfants ont la possibilité d'apprendre en dehors de la classe comme je l'ai fait. Avec SKR, nous faisons découvrir aux enfants le Centre des sciences de l'Ontario et le Musée royal de l'Ontario et leur faisons vivre des expériences informelles dans les domaines des STIM.

Ce n'est pas parce que quelque chose ne fait pas partie de votre programme que vous ne devez pas l'apprendre.

Grâce à des activités gratuites et informelles dans les domaines des STIM, SKR est en mesure de lancer des conversations sur la science avec les enfants. SKR met à la disposition des enfants des tables remplies de fossiles, d'insectes exotiques et de roches/minéraux que tout le monde peut découvrir, toucher et tenir. Cela suscite l'intérêt initial et permet aux enfants de poser davantage de questions et de développer de nouvelles idées. Ça contribue à créer de futurs scientifiques!

Il y a tant d'enfants qui sont passionnés par les dinosaures, les planètes, les fossiles et les roches, et ils veulent faire part de leurs connaissances en classe. Cependant, ils se font dire : « Pas maintenant, nous apprendrons cela plus tard ». SKR donne à ces enfants la possibilité de revêtir un sarrau de laboratoire et de communiquer leurs connaissances tout en ayant des conversations amusantes avec leurs camarades. Permettre aux enfants d'être des éducateurs dès leur plus jeune âge les responsabilise, malgré ce qui peut se passer en classe, et marque le début d'un parcours scientifique qui durera toute leur vie.

 

4.2 Renforcer les voies de cheminement dans le domaine de la formation scientifique et universitaire

4.2.1 Redéfinir l'excellence de la recherche

Lorsqu'il s'agit de présenter sa candidature à des postes dans le domaine de la science et de la recherche, la définition du succès se limite souvent à l'« excellence de la recherche »Note de bas de page 74, c'est-à-dire à la quantification du nombre de subventions accordées, de publications produites et d'étudiants supervisés. Une approche similaire existe pour les subventions et les bourses, où le nombre de bourses reçues par le passé et les contributions de recherche antérieures pèsent lourd dans l'évaluation. Cette approche ne permet pas de saisir l'ampleur des retombées scientifiques dans la société et favorise une culture d'exploitation, de fraude, d'élitisme et de concurrence. Elle perpétue également une culture scientifique qui néglige souvent les expériences de vie de ceux qui ne suivent pas le parcours professionnel traditionnel. S'il peut être tentant d'entretenir l'illusion d'une « méritocratie » scientifique en accordant une importance démesurée aux dossiers universitaires et aux publications, le simple fait de mettre l'accent sur ces critères sans tenir compte de l'expérience de vie et des préjugés sociétaux signifie que l'on n'accorde pas des chances égales à toutes les collectivités.

La définition de l'excellence impose des contraintes, notamment sur ceux qui sont soutenus et promus dans leur avancement professionnel, et aussi sur ceux qui façonnent le paysage scientifique au Canada. De plus, l'accent mis sur les dossiers universitaires et les publications ne permet pas d'apprendre par l'échec, et ne tient pas compte de la richesse des connaissances qui ne sont pas partagées en raison de la sous-évaluation des résultats expérimentaux négatifs ou non concluants. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les lacunes de la formation actuelle en matière de sciences, de technologie et d'innovation, qui utilise souvent les publications examinées par les pairs ou les dossiers universitaires comme mesures de l'excellence. Lorsque la société dans son ensemble ne se sent pas concernée par la science par l’entremise d'une communication et d'une sensibilisation efficaces et inclusives, la méfiance à l'égard de la science et des scientifiques peut s'enraciner. Les connaissances scientifiques doivent être diffusées au-delà du milieu universitaire et des communautés de recherche; l'importance de la communication et des politiques scientifiques doit donc être rehaussée en conséquence. Nous devons réorienter l'enseignement, la formation et la recherche scientifiques de manière à valoriser l'excellence sous différentes formes, notamment la mobilisation et le service communautaires, l'élaboration de politiques et les communications scientifiques.

4.2.2 Bourses d’études de cycle supérieur et postdoctorales et bourses de recherche

Les étudiants diplômés et les chercheurs postdoctoraux font partie intégrante de la science et de la recherche au Canada. Au niveau des études supérieures, le Canada encourage et attire actuellement des talents nationaux et étrangers grâce aux subventions, aux prix et aux bourses d'études des organismes de financement fédéraux (c.-à-d. le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines).

Mais il existe plusieurs disparités dans les bourses d'études supérieures et postdoctorales. Selon une analyse récenteNote de bas de page 75, les personnes appartenant à des groupes sous-représentés, titulaires d'une maîtrise ou d'un doctorat (notamment les femmes, les minorités visibles, les peuples autochtones et les personnes en situation de handicap) ne sont pas représentées proportionnellement dans les processus d'attribution des bourses fédérales. De plus, les subventions fédérales auraient dû être augmentées depuis longtempsNote de bas de page 76,Note de bas de page 77 afin de suivre le rythme de l'augmentation du coût de la vie à travers le Canada. Cette question a également été soulevée lors de différents témoignagesNote de bas de page 78 pour l'étude dirigée par le Comité permanent de la science et de la rechercheNote de bas de page 79 visant à explorer les occasions, les réussites et les enjeux de la science au Canada au début de 2022.

Le versement de bourses de « prestige » de plus grande valeur, comme les bourses Vanier et Banting, accentue les disparités financières entre les étudiants. Par exemple, un sondage réalisé en 2018-2019 par Dialogue sciences et politiquesNote de bas de page 80 a révélé qu'une majorité de stagiaires souhaitait augmenter le nombre total de bourses (91 %), rehausser la valeur des bourses (79 %) et prolonger les périodes d'admissibilité aux bourses (72 %). Ces changements rendraient les bourses accessibles à un plus grand nombre d'étudiants et permettraient aux étudiants en fin de cycle d'accéder également aux bourses. À la question de savoir si les bourses de prestige devraient être maintenues, étant donné qu'elles offrent plus de valeur et de prestige aux stagiaires sélectionnés, mais qu'elles exigent un investissement plus important de la part des organismes de financement fédéraux, 62 % sont en faveur de la réduction ou de l'abolition de ces bourses en faveur de bourses plus normalisées.

En fin de compte, nous devons nous interroger sur le rôle des différents niveaux de bourses et envisager comment aller au-delà du modèle de soutien actuel afin de garantir que tous les stagiaires bénéficient d'un appui adéquat.

4.2.3 Changements positifs en matière d’équité, de diversité et d’inclusion

Il existe plusieurs barrières systémiques et institutionnelles ancrées dans la formation scientifique et universitaire. Ces barrières doivent être démantelées, car historiquement, les personnes qui contribuent à la science canadienne ne sont pas représentatives de la communauté dans son ensemble. Il est toujours vrai aujourd'hui qu'il existe des obstacles importants à l'accès à la science canadienne pour ceux qui appartiennent à des groupes marginalisés dans le domaine scientifique, ce qui comprend notamment les femmes, les personnes de couleur, les Autochtones, les personnes en situation de handicap et les personnes 2SLGBTQIA+Note de bas de page b.

En ce qui concerne l'équité entre les sexes dans le domaine des sciences, la représentation des femmes au sein du corps enseignant universitaireNote de bas de page 81 a augmenté au cours des 50 dernières années, mais les femmes sont encore sous-représentées à presque tous les niveauxNote de bas de page 82, surtout dans les rôles décisionnels et les postes de direction du corps professoral. Au-delà du milieu universitaire, la situation n'est guère plus réjouissante. Une analyse comparative entre les sexes réalisée par Statistique Canada a révéléNote de bas de page 83 que les hommes diplômés dans les domaines des STIM sont plus susceptibles d'y occuper un emploi.

Des études ont démontré à maintes reprises que les femmes sont confrontées à un certain nombre d'obstacles institutionnelsNote de bas de page 15 qui ont une incidence sur leur expérience dans les domaines des STIM. Ces obstacles sont encore plus importants pour les scientifiques noirs, autochtones ou de couleur, de sexe féminin ou issus de minorités de genre de couleur, qui doivent également franchir un véritable parcours du combattantNote de bas de page 84. Par exemple, un rapport publié en 2021 par l'Université de VictoriaNote de bas de page 85 révèle que les membres des groupes sous-représentés font souvent état d'un climat peu accueillant dans les programmes de STIM, ce qui contrebalance un environnement d'apprentissage positif et des expériences positives.

Une étude américaine de 2021Note de bas de page 86 a révélé que les personnes de la communauté LGBTQ étaient davantage victimes d'exclusion sociale et de dévalorisation professionnelle dans les domaines des STIM que leurs homologues hétérosexuels. Cette étude a également démontré que les personnes LGBTQ+ travaillant dans les STIM étaient plus susceptibles de songer à quitter leur profession dans les STIM ou d'élaborer des plans en ce sens, comparativement à leurs homologues hétérosexuels. Cette étude s'est appuyée sur des données recueillies auprès de 21 sociétés liées aux STIM et établies aux États-Unis, mais elle met probablement en évidence un problème répandu dans les professions liées aux STIM, et qui ne se limite pas aux États-Unis. Bien que le Canada compte environNote de bas de page 87 un million de personnes membres de communautés LGBTQ2+, il n'existe pas de données et d'analyses de ce type pour une population canadienne.

Un certain nombre d'initiatives lancées dernièrement par des organismes de financement fédéraux au Canada visent à combler les lacunes en matière d'équité, de diversité et d'inclusion (EDI) au Canada. Des initiatives comme le projet pilote DimensionsNote de bas de page 25,Note de bas de page 88 ou les récentes mises à jour du questionnaire d'auto-identification des trois Conseils pour commencer à recueillir des données sur les membres de communautés LGBTQ2+ ont pour but de favoriser une science plus équitable, diversifiée et inclusive.

Mais nous pouvons aller encore plus loin. Si des personnes sont écartées des domaines scientifiques ou n'ont pas la possibilité d'y entrer et d'y progresser, cela signifie que nous ne faisons pas de progrès suffisants en matière d'équité et d'inclusion. La prochaine grande percée qui changera la vie de quelqu'un pourrait ne pas voir le jour à cause de ces lacunes - mais plus important encore, chacun mérite d'avoir la possibilité de vivre ses passions et de bénéficier de la dignité d'un milieu de travail exempt de discrimination.

 

Soutenir, promouvoir et encourager une communauté de femmes dans le domaine de la physique

 

Marie-Eve Boulanger : La conférence Femmes en physique et son équivalent pour les étudiants de premier cycle sont d'excellents exemples de la façon dont des mesures peuvent être prises pour promouvoir la diversité, l'équité et l'inclusion dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes. Ces conférences professionnelles visent à créer un espace où les participants peuvent établir des réseaux, explorer des cheminements de carrière et présenter des recherches, tout en faisant la promotion de l'équité entre les sexes et en prenant part à une conversation sur les femmes en physique, la santé mentale et les enjeux liés aux communautés LGBTQ+.

J'ai co-organisé la 7e édition de la conférence Femmes en physique CanadaNote de bas de page 89, qui s'est tenue en 2018 à Sherbrooke. Cette conférence nationale a rassemblé plus d'une centaine de personnes issues de la communauté étudiante, ainsi que des professeurs, des chercheurs postdoctoraux et des professionnels du secteur privé travaillant dans des domaines liés à la physique. Le succès de cet événement va bien au-delà de la participation : il a donné un élan aux initiatives liées à la diversitéNote de bas de page 90 au sein du département de physique de l'Université de Sherbrooke.

J'ai également co-organisé, avec ma collègue Madison Rilling, membre du conseil des jeunes, la 2e édition de la Conférence canadienne pour les étudiantes en physique (CCPEP)Note de bas de page 91, qui s'est déroulée dans la ville de Québec en 2015. Cet événement a de nombreux objectifs en commun avec les conférences Femmes en physique Canada et vise notamment à guider les étudiantes de premier cycle dans leur cheminement de carrière universitaire ou non en physique. Cette initiative canadienne a vu le jour à l'Université McGill, où Madison a co-organisé la toute première édition en 2014.

 

 

QAtCanSTEM : sciences, technologie, ingénierie et mathématiques pour les Canadiens queers de la région de l'Atlantique

 

Landon Getz : J'ai lancé Queer Atlantic Canadian Science, Technology, Engineering, and Mathematics (QAtCanSTEM) en 2019 en tant que groupe ponctuel pour compenser l'absence d'une communauté que les personnes 2SLGBTQIA+ dans les STIM au Canada constatent souvent, en particulier compte tenu de la taille géographique du Canada. À l'époque, je connaissais peu de professeurs et d'universitaires queers, et mes pairs me disaient souvent qu'ils ne connaissaient pas non plus de gens comme eux qui travaillaient dans les domaines des STIM.

J'ai mis sur pied le groupe QAtCanSTEM après avoir vécu l'expérience du LGBTSTEMinar en 2019, organisé à l'Institute of Physics de Londres, au Royaume-Uni. LGBTSTEM est une organisation similaire au Royaume-Uni, qui organise des conférences scientifiques générales qui s'adressent aux personnes queers en tant qu'espace sûr et inclusif. Y assister en 2019 a été une expérience tellement incroyable, car pour la première fois, je n'avais pas l'impression de devoir m'inquiéter que quelqu'un ne m'accepte pas comme je suis, ou me pose des questions embarrassantes sur une hypothétique femme ou petite amie. Moi, et les autres participants, étions libres d'être qui nous étions sans nous poser de questions. C'était l'une des premières expériences scientifiques de la sorte que j'ai vécues.

QAtCanSTEM a organisé deux conférences annuelles (en 2020 et 2021) dans la région de l'Atlantique, similaire au LGBTSTEMinar, avec des exposés universitaires, des affiches, des groupes d'experts et des activités de réseautage social.

 

 

Pour changer le visage de la science, nous devons nous attaquer aux inégalités partout, même sur Wikipédia

 

Farah Qaiser : Wikipédia vient au cinquième rang du palmarès des sites Web les plus populaires au monde avec plus de 250 millions de vues par jour. Cette encyclopédie virtuelle gratuite n'existe que grâce à la communauté mondiale des rédacteurs bénévoles de Wikipédia, dont les contributions rendent les renseignements accessibles.

Cependant, sur le million et demi de biographies que compte la version anglaise de Wikipédia, seulement 19 % d'entre elles environ concernent des femmes. Les préjugés sexistes de Wikipédia - ainsi que d'autres préjugés géographiques, raciaux et sociétaux - sont le reflet de sa communauté de rédacteursNote de bas de page 92, ainsi que les inégalités systémiquesNote de bas de page 93 présentes dans le monde en général. Il s'agit d'une lacune flagrante, mais aussi d'une occasion : en créant des pages Wikipédia, nous pouvons faire état des nombreux efforts déployés par les femmes et les membres de communautés historiquement exclues du domaine de la science.

Depuis 2018, j'ai passé de nombreuses heuresNote de bas de page 94 à réviser et à créer de nouvelles pages Wikipédia sur les scientifiques. À titre individuel, et en tant que membre de l'organisation 500 Women ScientistsNote de bas de page 95, j'ai également établi des partenariats avec des centres de sciences, des musées et des sociétés savantes à travers l'Amérique du Nord pour mener 15 Edit-A-Thons de Wikipédia, en plus de mettre sur pied une communauté de plus de 250 collaborateurs qui s'engagent à lutter contre ces inégalités. Collectivement, ces rédacteurs ont révisé et créé plus de 1 000 pages, qui ont été consultées plus de 20 millions de fois - en d'autres termes, nous avons créé 20 millions d'occasions de faire connaître les histoires des scientifiques et des chercheurs, et de changer lentement le visage de la science.

 

4.3 Une main-d’œuvre en STIM inclusive : les voies de cheminement au sein et à l’extérieur du milieu universitaire

Il faut redoubler d'efforts et développer le marché de l'emploi scientifique au Canada pour attirer et maintenir en poste des chercheurs et du personnel hautement qualifiés au niveau national et international après l'achèvement des programmes de formation. Cela comprend le renforcement et l'expansion des laboratoires de recherche nationaux et provinciaux du Canada.

De plus, le marché du travail ne reconnaît pas toujours le fait qu'une formation scientifique permet également d'acquérir des compétences essentielles qui peuvent être appliquées dans des carrières autres sont hautement applicables au-delà des carrières traditionnelles dans les STIM. Un rapport publié en 2021 par le Conseil des académies canadiennes sur la transition des titulaires de doctorat vers le marché du travailNote de bas de page 7 a permis de constater que les diplômés en commerce ont les revenus les plus élevés cinq ans après l'obtention de leur diplôme, tandis que les diplômés en sciences humaines et en sciences sont ceux dont le salaire est le moins élevé. Cette situation peut être en partie attribuable à une « sensibilisation aux compétences moins importante » qui empêche les titulaires de doctorat de comprendre et d'expliquer leur valeur, ainsi qu'à un décalage entre les compétences qu'offrent les titulaires de doctorat et celles dont les employeurs ont besoin. Le rapport du Conseil des académies canadiennes suggère que les pratiques prometteuses comprennent des programmes ciblés visant à accroître la demande de titulaires de doctorat chez les employeurs du secteur non universitaire. Cependant, il est essentiel que l'augmentation de la demande aille de pair avec une reconnaissance accrue de la valeur d'un doctorat par l'industrie, le gouvernement et d'autres employeurs en dehors du milieu universitaire. Deux programmes liés aux politiques qui visent cet objectif sont la Bourse pour l'élaboration de politiques scientifiques canadiennes de MitacsNote de bas de page 96 et le programme Recrutement de leaders en politiques du gouvernement du CanadaNote de bas de page 97.

L'entrepreneuriat représente une tendance émergente dans les carrières scientifiques. Les scientifiques ont un potentiel entrepreneurial considérable en raison de leur formation et de leurs compétences, ainsi que de leur capacité d'innovation. Il existe des initiativesNote de bas de page 98, des programmesNote de bas de page 99 et des incubateurs d'entreprises en démarrageNote de bas de page 100 pour stimuler ce potentiel et créer des entreprises, mais il est possible de faire davantage pour rendre le parcours entrepreneurial plus accessible, mieux soutenu et mieux connu des scientifiques dès le début de leur formation.

De plus, il faudrait encourager les programmes scientifiques des universités et des collèges à inclure des cours d'introduction sur « la science et la société », l'enseignement ou la communication, ainsi que des stages rémunérés et des occasions d'observation, afin d'encourager les stagiaires à explorer des carrières sortant des sentiers battus de la recherche. Il peut s'agir d'envisager une carrière au sein du gouvernement (provincial ou fédéral), d'une administration municipale, de l'industrie et d'organismes sans but lucratif.

 

Mobiliser tout le Canada dans le secteur émergent de l'aérospatiale

 

Max King : Le secteur canadien de l'aérospatiale connaît une croissance rapide et doit intégrer les talents qui se trouvent dans toutes les provinces et tous les territoires. Historiquement centré sur l'Ontario et le Québec, un secteur canadien de l'aérospatiale prospère doit créer des emplois dans d'autres régions du Canada. L'expérience que j'ai acquise en fréquentant des établissements d'enseignement dans trois provinces m'a permis de constater que les étudiants nourrissent une passion pour les carrières dans l'industrie aérospatiale. Cette passion est tempérée par un manque de visibilité des contributions aérospatiales canadiennes et un accès insuffisant à des emplois dans le secteur qui sont proches de chez eux.

Avec l'émergence d'une capacité de lancement dans les Maritimes et le nombre croissant d'entreprises qui créent des vaisseaux spatiaux privés, le Canada dispose d'un bassin de talents pour employer des personnes hautement qualifiées dans le secteur de l'aérospatiale dans plusieurs grands centres, et pas seulement en Ontario et au Québec. L'élaboration d'une politique visant à soutenir la croissance et l'expansion continues du secteur de l'aérospatiale est essentielle pour que le Canada demeure concurrentiel dans l'exploration et l'utilisation de l'espace de la prochaine génération.

 

 

De la clinique à un organisme sans but lucratif : de physicienne médicale à directrice générale

 

Madison Rilling : Je suis à la fois une scientifique optique et une physicienne médicale. Tout en terminant mon doctorat, j'ai travaillé pendant deux ans comme physicienne médicale clinique en radio-oncologie. En tant qu'experte des interactions entre le rayonnement et la matière, je faisais partie intégrante d'une équipe médicale interdisciplinaire chargée de veiller à ce que la dose de rayonnement utilisée pour traiter différents types de cancer soit administrée de la manière la plus précise et optimale possible.

Bien que mon travail soit passionnant et enrichissant, les expériences que j'ai acquises en dehors du laboratoireNote de bas de page 101 m'ont incitée à abandonner une carrière purement technique. En particulier, le fait d'avoir agi comme étudiante conseillère auprès de l'expert scientifique en chef du Québec, ainsi que d'avoir été la seule étudiante membre du conseil d'administration de l'organisme québécois de financement de la recherche en sciences naturelles et en génie (FRQNT)Note de bas de page 102, m'ont placée directement à l'interface de la science et de la politique. Je me suis impliquée dans l'administration et le financement de la recherche, de même que dans l'élaboration de politiques liées aux sciences et aux femmes dans les STIM. J'ai même eu l'occasion d'interagir avec des élus et des ministres du gouvernement. Ces expériences, jumelées aux initiatives de sensibilisation aux sciencesNote de bas de page 103 que j'ai codirigées, ont changé ma vie : elles m'ont fait découvrir les rôles différents et importants que les scientifiques pouvaient jouer pour la science, mais au-delà du milieu universitaire.

Aujourd'hui, je mets mon expertise scientifique et mes compétences au service de l'innovation technologique et sociale dans mon rôle de directrice générale d'OptoniqueNote de bas de page 104(pôle d'excellence en optique et photonique du Québec). Optonique est un organisme sans but lucratif qui a pour but de mobiliser, de faire croître et de promouvoir le riche écosystème de l'optique et de la photonique au Québec; il est particulièrement bien placé pour soutenir l'industrie, communiquer avec le gouvernement et jeter des ponts avec le milieu universitaire. Naviguant entre ces mondes très différents, je mène maintenant chaque jour un éventail passionnant d'activités liées aux politiques, au développement des affaires, à la recherche et l'innovation, à la sensibilisation, au courtage du savoir et plus encore. Au-delà de mon rôle professionnel, j'aime me considérer comme une diplomate scientifique dans l'âme : j'utilise la science, et ma formation de scientifique, pour mieux créer des liens entre les gens.

 

 

De minuscules solutions à de grands problèmes

 

Molly Sung : J'ai toujours été attirée par la recherche axée sur la résolution de grands problèmes. J'ai reçu une formation de chimiste, j'ai obtenu mon baccalauréat en sciences à l'Université de la Colombie-Britannique (UCB) et mon doctorat à l'Université de Toronto, et j'ai travaillé dans des laboratoires de recherche dans la fabrication de plastiques biodégradables et les énergies renouvelables. Mais c'est grâce à un projet de recherche de premier cycle avec Pieter Cullis, de l'UCB, que j'ai commencé à travailler chez Acuitas Therapeutics au début de 2020, au moment où la pandémie de COVID-19 commençait. Chez Acuitas, j'ai l'occasion de collaborer avec des scientifiques de partout, dans le cadre d'un effort véritablement international et multisectoriel, pour trouver des solutions qui répondent à une multitude de besoins thérapeutiques.

Lorsque j'étais étudiante, j'ai également passé beaucoup de temps à réfléchir à la relation entre la science, la société et le gouvernement. Grâce à mon travail à l'Institut de chimie du CanadaNote de bas de page 105 et au Toronto Science Policy NetworkNote de bas de page 106, j'ai cherché à encourager plus de scientifiques à s'engager davantage dans le domaine de la politique et l'élaboration de politiques. Et grâce à mon travail bénévole en politique, j'espère continuer d'inciter les politiciens à s'engager plus fréquemment dans le domaine de la science.

 

4.4 Appels à l'action : comment bâtir de multiples voies d’accès et de sortie en matière de sciences

 

  1. Examiner, ou compléter, l'enseignement de la maternelle à la 12e année comme une occasion d'exposer les enfants à un large éventail de modèles divers, et de permettre aux jeunes d'acquérir les compétences nécessaires pour se lancer dans les carrières de demain. Par exemple, lors des consultations de Canada 2067Note de bas de page 107, plus de 1 000 jeunes ont souligné l'importance de l'apprentissage personnalisé, ainsi que le besoin de mentorat et d'espaces confortables. Les jeunes recherchent l'apprentissage par l'expérience : une façon d'établir un lien entre l'apprentissage des STIM et les problèmes de la vie réelle de manière pratique, et en tirant profit des nouvelles technologies pour transformer l'apprentissage en une expérience interactive et centrée sur l'étudiant.
  2. Soutenir et reconnaître les enseignants de la maternelle à la 12e année. Among the recommendations in the consultations de Canada 2067Note de bas de page 107, on a suggéré que les enseignants aient l'occasion de participer à des activités de perfectionnement professionnel liées aux STIM au moins une fois par année (sinon plus souvent), et qu'ils soient mis en relation avec des partenaires communautaires dans toutes les régions pour aider à former des communautés d'apprentissage professionnel dynamiques. Il est également important de soutenir les enseignants en leur offrant un salaire et une rémunération équitables, et de reconnaître les enseignants qui se surpassent pour aider leurs élèves au moyen d'initiatives provinciales et fédérales comme les Prix du Premier ministre pour l'excellence dans l'enseignement des STIMNote de bas de page 108.
  3. Multiplier les rampes d'accès aux sciences en créant ou en soutenant des expériences plus informelles dans les domaines des STIM. Investir dans les programmes communautaires d'enseignement des STIM et les soutenir, en particulier ceux qui s'adressent aux communautés marginalisées et sous-ressourcées (y compris les communautés rurales et à faible revenu). Les programmes destinés aux communautés marginalisées doivent être adaptés aux particularités culturelles; par exemple, la sensibilisation des communautés autochtones doit être dirigée par des Autochtones.
  4. Redéfinir l'expression « excellence de la recherche » pour valoriser l'excellence sous toutes ses formes. Nous proposons que des mesures plus inclusivesNote de bas de page 74, such as mobilisation communautaireNote de bas de page 109 et l'excellence de l'enseignement, soient davantage prises en compte dans l'évaluation des demandes. Par exemple, en 2022, le Fonds de recherche du QuébecNote de bas de page 110 a élargi les critères des bourses de recherche postdoctorale et des bourses de perfectionnement pour inclure l'établissement d'un dialogue entre la science et la société, la mobilisation des connaissances et leur diffusion auprès d'un public diversifié.
  5. Modifier l'approche à l'égard de l'examen de l'« excellence » dans l'ensemble des processus, ce qui comprend l'examen par les pairs et l'évaluation pour l'embauche, la promotion et la permanence. Bien que quelques initiativesNote de bas de page 111 soient en place pour changer cet état d'esprit parmi les évaluateurs (qui favorise la quantité au détriment de la qualité), nous devons nous assurer que les évaluateurs actuels et futurs sont conscients des pratiques les plus récentes et des préjugés conscients (ou non) qu'ils peuvent avoir (p. ex., au moyen de modules de formation)Note de bas de page 112. En tant que communauté, nous devons également poursuivre la discussion sur la manière d'améliorer le processus d'examen par les pairs, tant pour les comités d'évaluation que pour les examens des ouvrages scientifiques. Il faudrait notamment récompenser la communication de travaux expérimentaux « infructueux», en plus des expériences « réussies ».
  6. Repenser l'approche fédérale à l'égard des bourses d'études supérieures et postdoctorales. Baskaran et al. (2021)Note de bas de page 75 formulent les recommandations suivantes « 1) augmenter la durée d'admissibilité des bourses fédérales pour qu'elle corresponde à celle des bourses de doctorat du CRSH et distribuer les bourses proportionnellement au nombre de candidats dans chaque fourchette d'inscription; 2) modifier les critères d'évaluation utilisés pour accorder ces bourses en appliquant une pondération égale à l'excellence universitaire, au potentiel de recherche et à l'expérience personnelle et de leadership; et 3) augmenter et normaliser la valeur des bourses dans l'ensemble des [organismes subventionnaires fédéraux]. Une autre voie possible vers un système de financement plus équitable serait d'éliminer les bourses de « prestige »Note de bas de page 113, comme les bourses Vanier et Banting, qui ont une valeur monétaire beaucoup plus importante, et d'augmenter le nombre total de bourses offertes. Ces recommandations peuvent également s'appliquer aux subventions et aux bourses distribuées par les gouvernements provinciaux (p. ex., la Bourse d'études supérieures de l'Ontario), ainsi que par les organismes tiers.
  7. Continuer de démanteler les barrières systémiques et institutionnelles qui empêchent l'entrée, l'avancement et le maintien en poste des scientifiques appartenant à des communautés historiquement exclues. Un examen complet des barrières systémiques, ou une liste de recommandations, ne fait pas partie de la portée du présent rapport. Nous demandons aux décideurs d'examiner et de mettre en œuvre les recommandations formulées par les leaders dans ce domaine, notamment la mise en œuvre de pratiques exemplaires pour promouvoir l'équité au sein des établissements d'enseignement postsecondaire et des laboratoiresNote de bas de page 114 et des laboratoiresNote de bas de page 115 ainsi que l'organisation de conférences inclusivesNote de bas de page 116, de donner suite aux engagements pris pour soutenir la recherche et la formation en recherche autochtoneNote de bas de page 117, et mieux soutenir les chercheurs en situation de handicapNote de bas de page 118,Note de bas de page 119. Il est également essentiel d'inclure les scientifiques appartenant à des communautés historiquement exclues dans ces processus décisionnels et de veiller à ce qu'ils aient la possibilité d'apporter les changements nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d'IDE.
  8. Fournir des emplois stables aux chercheurs au Canada en renforçant les laboratoires de recherche financés par l'État. En augmentant et en garantissant une affectation stable des ressources à long terme, cela fournira des voies supplémentaires pour retenir les talents canadiens après l'obtention de leur diplôme, ainsi que l'autonomie et la souplesse de la science canadienne face aux problèmes actuels et émergents, comme les changements climatiques et les futures pandémies.
  9. Normaliser l'exploration des différentes carrières scientifiques afin qu'il soit plus facile d'amorcer ou d'abandonner une carrière en science ou un domaine connexe. Les superviseurs universitaires, les départements et les institutions doivent contribuer à normaliser les parcours professionnels non linéaires ou les périodes de « relâche » de la recherche, et encourager la mobilisation dans d'autres secteurs et disciplines. Par exemple, les départements peuvent offrir des expériences pour aider à explorer différentes carrières scientifiques (comme les politiques scientifiques, l'éducation et les communications) au-delà de la recherche au moyen de stages rémunérés pour acquérir de l'expérience, de bourses spécialisées pour compenser les obstacles financiers, d'ateliers de formation intensifs ou d'ateliers de travail pour aider à perfectionner des compétences. De même, les organismes non universitaires doivent chercher à créer des occasions d'apprentissage, que ce soit au moyen de stages récurrents ou de la création de programmes de formation spécialisés.

 

 

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5. La science dans la société

Un inventaire maintenant périméNote de bas de page 120 des initiatives de communication scientifique publique a permis de recenser plus de 700 programmes et organismes connexes au Canada, y compris ceux dirigés par des musées, des organismes non gouvernementaux, des programmes gouvernementaux, des médias et des établissements d'enseignement. Malgré ces nombreux efforts, les représentations désuètes des médias ont tendance à persister et à mettre l'accent sur le trope stéréotypé de la « blouse blanche et du laboratoire »Note de bas de page 121. Ce trope s'est répandu à tous les niveaux de la société. Par exemple, lorsqu'on leur demande de dessiner un scientifiqueNote de bas de page 122, les enfants sont plus nombreux que jamais à dessiner des femmes scientifiques. Cependant, lorsqu'ils grandissent, les enfants ont encore tendance à associer la science aux hommes.

La représentation est importante. Si des personnes ne se reconnaissent pas dans la science ou ne voient pas la science comme un domaine ouvert et accueillant pour les personnes de tous horizons, cela peut les dissuader de s'engager de manière significative dans la science. Ces perceptions peuvent tout simplement constituer des obstacles à la poursuite d'une carrière scientifique, voire à l'engagement dans la science au quotidien. C'est pourquoi, dans cette section, nous examinons les différents obstacles que le grand public peut rencontrer lorsqu'il s'agit de s'engager dans la science et la recherche, ainsi que les possibilités et les moyens d'aller de l'avant.

5.1 L’accès payant, le jargon et la nécessité d’utiliser un langage clair et simple

La nature alambiquéeNote de bas de page 123 et complexeNote de bas de page 124 de la publication universitaire a des conséquences importantes pour les scientifiques lorsqu'il s'agit de diffuser les résultats de leurs recherches, mais aussi pour le grand public qui a soutenu la science et la recherche avec l'argent de ses impôts, mais qui ne peut accéder à ces résultats en raison des coûts exorbitants.

Au-delà de l'accès payant, la science est souvent inaccessible et difficile à comprendre en raison du jargon utilisé. Les scientifiques et les chercheurs passent des années à se spécialiser dans une discipline spécialisée et maîtrisent des termes techniques qui ne sont généralement pas accessibles aux profanes. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de communication et de sensibilisation, que ce soit un manuscrit ou une entrevue dans les médias, les scientifiques utilisent souvent le jargon comme raccourci, et finissent par aliéner ou confondre les lecteurs et les auditeurs. Ils peuvent même créer une certaine confusion parmi leurs collègues scientifiques. Par exemple, une étude réalisée en 2021Note de bas de page 125 a analysé le jargon employé dans plus de 20 000 manuscrits et a constaté queNote de bas de page 126 les articles dont les titres et les résumés contenaient davantage de jargon étaient moins souvent cités par d'autres chercheurs. Pour rendre la science plus accessible, la solution n'est pas de niveler la science par le bas (ce qui est condescendant), mais plutôt de faire preuve d'une plus grande clarté et d'intégrer dans nos efforts les principes fondamentaux de la communication scientifique inclusive.

 

Une feuille de route pour la science ouverte

 

La science ouverteNote de bas de page 127 est la pratique consistant à diffuser des données, des renseignements, des outils et des résultats de recherche et à éliminer les obstacles à la collaboration. En février 2020, le Bureau de la conseillère scientifique en chef a publié une feuille de route pour la science ouverteNote de bas de page 17 afin de « présenter des principes fondamentaux et des recommandations pour guider les activités relatives à la science ouverte » pour la science et la recherche financées par les ministères et organismes du gouvernement fédéral.

The roadmap was followed up by the publication of a cadre de mise en œuvre de l'ouverture par défaut de la recherche scientifique fédérale (en janvier 2021)Note de bas de page 128, puis d'une série de Dialogues sur la science ouverte (février 2022)Note de bas de page 129, auxquels ont participé les membres du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef. Les membres du conseil ont soulevé un certain nombre de questions, notamment 1) l'importance d'inclure les voix des jeunes lorsqu'il s'agit de la mise en œuvre de la science ouverte; 2) les coûts de la science ouverte sont particulièrement prohibitifs pour les chercheurs en début de carrière; 3) toutes les données ne devraient pas être ouvertes par défaut, notamment celles sur la santé et les données personnelles, et surtout lorsque la souveraineté des données autochtones doit être protégée; et 4) la nécessité de renforcer la capacité de stockage sûr et à long terme des données.

 

5.2 L’intérêt grandissant envers la communication scientifique

Au cours de la dernière décennie, on a constaté un intérêt sans cesse croissant à l'égard de la communication scientifique au sein de la communauté scientifique canadienneNote de bas de page 130. De plus en plus de scientifiques reconnaissent qu'il ne suffit pas de publier des travaux scientifiques et que, pour s'engager de manière significative auprès des intervenants et du public, il faut en faire davantage, en commençant par s'assurer que les scientifiques connaissent les principes fondamentaux de la communication scientifique accessible. Par exemple, en 2020, le CRSNG a accordé la première série de Subventions de développement des compétences en communication scientifique (phase pilote) du CRSNGNote de bas de page 131 afin d'appuyer les organismes qui offrent une formation sur les compétences en communication scientifique aux étudiants, aux boursiers et aux professeurs des STIM. De plus, il existe un nombre grandissant d'occasions et de ressourcesNote de bas de page 132 pour aider les scientifiques à améliorer leurs compétences en communication.

Cependant, comme la science a la réputation d'être inaccessible en raison du langage utilisé, ces obstacles persistent. Pour améliorer l'accessibilité de la science, nous devons continuer de mettre en œuvre des mécanismes visant à garantir que le langage scientifique est accessible, à commencer par le moment où la science est produite et diffusée. Au minimum, les manuscrits universitaires devraient être accompagnés de résumés ou de sommaires en langage clair.

Il est également important de créer et d'intégrer davantage d'occasions de formation en communication scientifique à différentes étapes d'une carrière. Actuellement, l'Université Laurentienne offre une maîtrise ou un diplôme d'études supérieures en communication scientifiqueNote de bas de page 133, le seul programme d'études supérieures de ce type au Canada jusqu'à présent. Au niveau du premier cycle et des études supérieures, certaines universités canadiennes proposent des cours de communication scientifique, comme l'Université Simon FraserNote de bas de page 134, l'Université de GuelphNote de bas de page 135, l'Université Queen'sNote de bas de page 136 et l'Université McGillNote de bas de page 137. Il s'agit d'un bon point de départ, mais nous pouvons aller encore plus loin et faire en sorte que la formation en communication scientifique fasse partie intégrante de tous les programmes d'études de premier et de deuxième cycle. Trop souvent, les étudiants doivent se tourner vers des programmes ou des initiatives externes pour obtenir une formation en communication scientifique, ce qui peut imposer des obstacles financiers aux stagiaires éventuels. Les occasions de formation doivent être facilement accessibles au sein des établissements pour s'assurer que la prochaine génération de scientifiques et de travailleurs soit en mesure de diffuser efficacement la science et la recherche, ainsi que de fournir des conseils scientifiques éclairés aux décideurs. Il est également essentiel de permettre aux chercheurs d'acquérir les compétences dont ils ont besoin pour mobiliser les connaissances, c'est-à-dire transformer leurs travaux de recherche en résultats concrets, par exemple en orientant les modifications apportées aux politiques ou en créant des produits et des outils avec les intervenants concernés.

 

Comment les formateurs et les professeurs peuvent-ils intégrer la communication scientifique dans leur enseignement?

 

Dawn BazelyNote de bas de page 138 a intégré la révision de biographies Wikipédia dans le cadre de son cours d'écologie de premier cycle à l'Université YorkNote de bas de page 139 afin de s'attaquer au problème de la représentation des femmes dans les sciences sur Wikipédia et de donner aux étudiants l'occasion d'apprendre à rechercher des renseignements fiables en ligne.

Robin Stoodley, Ph. D.Note de bas de page 140, dirige le cours « Communicating Chemistry » à l'Université de la Colombie-Britannique, qui est un cours obligatoire pour tout étudiant se spécialisant en chimie. Ce cours enseigne les techniques d'échange de renseignements avec d'autres chimistes, mais met également l'accent sur les stratégies de communication avec les non-scientifiques au moyen de présentations écrites et orales.

Jennifer Gardy, Ph. D.Note de bas de page 141, a enseigné le cours de deuxième cycle « Risk and Communication in Public Health » à l'Université de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 142 où les étudiants ont été initiés aux principes de la communication scientifique, ainsi qu'à la théorie et à la pratique de la communication des risques en santé publique. Ils ont notamment analysé des exemples concrets de communication réussie ou non en matière de santé publique.

 

5.3 La mobilisation du public doit se poursuivre, mais sous un angle plus inclusif et avec des incitatifs structurels

Comme l'a déclaré M.A. LemayNote de bas de page 143, dans le cadre de la « promesse de la science », « [n]ous nous attendons à ce que la science fournisse des solutions à des problèmes sociaux complexes et insolubles et fournisse des avantages socio-économiques qui mènent à la prospérité est "notre attente que la science apportera des solutions à des problèmes sociaux complexes et insolubles et fournira des avantages socio-économiques qui mèneront à la prospérité. Elle est le moteur des décisions d'investir des ressources publiques importantes dans la recherche et l'innovation. » Cependant, la science n'a souvent pas tenu ses promesses ni répondu à nos attentes. Les avantages de la science ne sont pas toujours accessibles à tous, et n'aident parfois qu'un sous-ensemble donné ou quelques privilégiés.

Aussi pénible que cela puisse être, c'est une nuance avec laquelle les scientifiques doivent composer. La première réaction du public n'est pas toujours d'accueillir la science à bras ouverts. Et, à son tour, l'objectif de la mobilisation du public et de la vulgarisation scientifique n'est pas de faire en sorte que tout le monde obtienne un diplôme en sciences, mais plutôt d'accroître la confiance du public et son appréciation de la science.

Il existe plusieurs façons d'intensifier la mobilisation du public dans le domaine de la science et d'instaurer une culture scientifique nationale. Tout d'abord, nous devons tirer profit des efforts déployés pour que la mobilisation du public dans le domaine de la science soit amusante et inclusive, et démystifier la science. Pour ce faire, il faudra mettre à profit l'intérêt suscité par la pandémie et rendre la science amusante en adoptant des modèles de mobilisation publique plus interactifs ou non traditionnels (p. ex., Science Is a Drag et Pint of Science). Il est important que la mobilisation du public soit plus inclusive, notamment en veillant à tenir compte des langues autres que l'anglais et le français dans les efforts de mobilisation. Ces modèles peuvent être intégrés aux célébrations existantes, comme la Semaine de la culture scientifique, le Science Rendezvous ou la Journée internationale des femmes et des filles de science.

Lorsqu'il s'agit d'efforts de mobilisation du public, il est tout aussi important de se concentrer sur les processus employés en science que d'explorer les nouvelles avancées de la science elle-même. En fait, lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes de 2021, Mona Nemer a fait remarquer qu'en « temps de paix », nous devrions peut-être nous concentrer sur la compréhension des méthodes scientifiques, plutôt que de devoir communiquer à la fois les résultats et les méthodes lors d'une urgence telle qu'une pandémie.

 

Voici quelques-uns des incroyables communicateurs scientifiques et leurs initiatives de communication scientifique à travers le Canada.

 

Samantha Yammine, Ph. D. (alias Science Sam)Note de bas de page 144 est une communicatrice scientifique populaire, très présente sur les médias sociaux. Elle a obtenu un doctorat au département de génétique moléculaire de l'Université de Toronto, où elle a étudié certaines des premières cellules du cerveau - les cellules souches neurales. Au cours de la pandémie de COVID-19, Samantha a expliqué les fondements scientifiques de cette maladie infectieuse, vérifié les faits concernant les vaccins contre la COVID-19 et plaidé en faveur de mesures d'adaptation pour les personnes souffrant d'anxiété liée aux tests médicaux et aux aiguilles sur ses canaux de médias sociauxNote de bas de page 145.

Broad ScienceNote de bas de page 146 est un balado qui a pour but de rendre la science attrayante, inclusive et intersectionnelle. Il a été fondé par Rackeb Tesfaye, étudiant au doctorat à l'Université McGill, qui est également mentor du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef et chroniqueur scientifique à l'émission Let's Go with Sabrina Marandola de la CBC.

Lotus STEMMNote de bas de page 147 est une plateforme de réseautage et de leadership pour les femmes sud-asiatiques dans les domaines des sciences, de la technologie, de l'ingénierie, des mathématiques et de la médecine (STIMM). En particulier, pendant la pandémie, Lotus STEMM s'est associé à ScienceUpFirst pour lutter contre la désinformation et renforcer l'équité scientifique en traduisant le contenu dans diverses langues sud-asiatiques.

La Semaine de la culture scientifiqueNote de bas de page 148 met en évidence les nombreuses façons dont les enfants et les familles peuvent explorer et apprécier la diversité des sciences au Canada. Les bibliothèques, les musées, les centres scientifiques, les écoles et les organismes sans but lucratif unissent leurs efforts pour mettre en valeur les livres, les films, les balados et les événements qui racontent des histoires passionnantes sur la science, les découvertes et l'ingéniosité qui façonnent nos vies. Cette célébration annuelle de la science a été lancée par Jesse HildebrandNote de bas de page 149, alors étudiant de premier cycle, et est maintenant coordonnée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG).

 

Il sera également important d'établir des relations de confiance et des partenariats avec les collectivités locales. Lorsqu'il s'agit de projets de recherche nouveaux ou en cours, il faut consulter les collectivités de manière appropriée tout au long du processus afin qu'elles puissent donner leur avis sur la portée du projet et s'approprier les données recueillies. Les gens peuvent également mener des activités scientifiques de leur propre chef en utilisant des plateformes scientifiques citoyennes ou communautaires. En général, la science citoyenne permetNote de bas de page 150 à des non-spécialistes ou à des non-scientifiques d'effectuer des recherches scientifiques, directement ou indirectement avec des scientifiques. Le niveau de participation varie, allant de la collecte de données au traitement des résultats. Avec l'évolution des technologies mobiles, les applications de science citoyenne sont très répandues et facilitent l'accès des gens à la science dans leur propre collectivité, par exemple pour le suivi de la pollution plastiqueNote de bas de page 151. Il existe d'innombrables applications, p. ex., pour le contrôle de la qualité de l'eauNote de bas de page 152 et le suivi des déchetsNote de bas de page 153 qui permettent aux utilisateurs d'accéder non seulement à leurs propres données, mais aussi à celles des autres grâce à des portails en libre accèsNote de bas de page 154. De façon générale, on demande de plus en plus aux scientifiques de tous niveaux de faire preuve de transparence dans leur travail, de diffuser leurs données scientifiques sur des plateformes en libre accès et de participer à des initiatives de communication scientifique avec des publics plus larges.

 

Suivi de la pollution plastique, de Terre-Neuve aux rues de Toronto

 

Justine Ammendolia : En tant que scientifique de l'environnement, je m'intéresse aux conséquences que causent les humains pour l'environnement par leurs déchets. En tant que chercheuse sur la pollution plastique, je mesure les types et les quantités de déchets dans nos environnements terrestres et aquatiques, dans le temps et l'espace. J'ai commencé à surveiller les plastiques en enregistrant les déchets sur les côtes éloignées de Terre-Neuve, et mon travail m'a finalement conduit dans les rues de Toronto.

Au début de la pandémie de COVID-19, j'ai appliqué mon expérience du suivi des déchets à la mesure des fuites d'articles liés à la pandémie dans ma ville natale de Toronto, en Ontario. À l'aide d'une application scientifique citoyenne, Marine Debris TrackerNote de bas de page 153, j'ai suivi la trace d'équipements de protection individuelle (EPI) et d'articles sanitaires abandonnés dans mon quartier à différentes étapes de la pandémie afin de cartographier les sources et les puits de cette pollutionNote de bas de page 155.

Après avoir mis au point une méthode de surveillance locale dans ma région, j'ai sollicité l'aide d'autres personnes dans le monde pour surveiller les débris liés à la pandémie. J'ai collaboré avec des collègues chercheurs et des scientifiques citoyens à l'étranger et j'ai partagé mes méthodes afin qu'ils puissent surveiller les EPI dans leurs propres quartiers. Cette initiative de surveillance internationale a été financée par la National Geographic Society. Mon travail avec les scientifiques citoyens comprenait également la réalisation d'un registre des enchevêtrements d'animaux en utilisant des plateformes numériques et de médias sociaux pour accéder aux messages. Ces projets que j'ai menés étaient essentiels pour comprendre les répercussions de la pandémie sur l'environnement en misant sur la mobilisation d'une communauté plus large. Une grande partie de la communication scientifique issue de ce travail a été axée sur l'information du grand public par l’entremise d'articles dans les médiasNote de bas de page 156 et des initiatives de sensibilisation du National GeographicNote de bas de page 157.

Titulaire d'une maîtrise en biologie marine (2017) et d'un baccalauréat en sciences (2014) de l'Université Memorial de Terre-Neuve et de l'Université de Guelph, respectivement, je poursuis actuellement des études de doctorat à l'Université Dalhousie.

 

Trop souvent, la communication scientifique est effectuée comme une « activité secondaire » ou est sous-évaluée en tant que service ou carrière. Si nous espérons véritablement instaurer une culture scientifique nationale (et durable), nous devons avoir la volonté de participer à la mobilisation du grand public et à la communication scientifique en misant sur des mesures incitatives institutionnelles. En d'autres termes, nous ne pouvons pas demander aux communicateurs scientifiques de travailler gratuitement ou dans le but de se faire connaître. Les institutions doivent déployer des efforts pour valoriser, au moyen d'une rémunération équitable, cette expertise spécialisée, qu'elle soit fournie par un chercheur (en plus de son rôle principal) ou par des communicateurs scientifiques (dans le cadre d'une carrière à plein temps). Nous devons également nous efforcer de protéger les scientifiques contre le harcèlement; pendant la pandémie, des femmes spécialistes dans leur domaine expertes ont fait l'objet d'une haine vicieuse en ligneNote de bas de page 158 pour avoir parlé publiquement de la COVID-19.

Comme l'a déclaré récemment Ruth Morgan, Ph. D.Note de bas de page 159, « Si un million de scientifiques (environ 10 % de la population scientifique mondiale active dans le service public) consacraient deux heures par semaine à la mobilisation de la science avec et pour la société (environ 5 % de leur temps de travail), cela créerait environ 100 millions d'heures par année consacrées à une science qui s'engage de manière significative avec les politiques et les décideurs mondiaux. Ces heures pourraient catalyser un effet papillon mondial qui pourrait se prolonger dans le futur. » Cette vision, aussi noble soit-elle, est une vision qui, nous l'espérons, se concrétisera au Canada.

 

Les différentes formes de communication scientifique : de la génomique à la politique, en passant notamment par l'écriture d'un livre pour enfants

 

Farah Qaiser : Je suis chercheuse en génomique de formation, qui fait maintenant un détour par le monde de la politique. Je porte de nombreux chapeaux - tous dans le but de faire une différence et d'instaurer une culture scientifique inclusive en misant sur la sensibilisation, la communication et la politique.

Laissez-moi vous expliquer!

Je suis titulaire d'une maîtrise en génétique moléculaire (2020) et d'un baccalauréat en sciences (2017) de l'Université de Toronto. Dans le cadre de mes recherches, j'ai utilisé le séquençage de l'ADN pour mieux comprendre comment les modifications de notre code génétique, comme les typos (variantes de nucléotides simples) ou les séquences répétées (expansions de répétitions), pouvaient entraîner des troubles neurologiques comme l'épilepsie.

Mais, au fil de ma formation scientifique, j'ai remarqué que des problèmes communs revenaient sans cesse. Par exemple, j'ai constaté à quel point on emploie beaucoup de jargon. La science est souvent inaccessible à cause de frais d'accès, et les scientifiques appartenant à des communautés exclues depuis toujours sont confrontés à des obstacles systémiques.

Pour y remédier, j'ai mené différentes initiatives visant à éliminer les obstacles à la science. Par exemple, pour rendre la science plus accessible, j'ai écrit plus de 100 articles sur la science pour divers médias (dont Forbes). Pour fournir aux scientifiques, en particulier ceux de la prochaine génération, les compétences nécessaires pour participer à la mobilisation du grand public, j'ai dirigé plusieurs programmes de formation en communication scientifique (comme la Science Communication Toolbox for Researchers)Note de bas de page 160 et j'ai cofondé le Toronto Science Policy NetworkNote de bas de page 106 afin d'offrir aux stagiaires et aux chercheurs un espace pour s'informer sur la politique scientifique et y participer. Enfin, pour changer le visage de la science, je dirige des « Edit-A-Thons » sur Wikipédia pour créer des pages sur des scientifiques sous-représentés et, avec la neuroscientifique Hajer Nakua, je publierai mon premier livre d'images pour enfants en 2024, intitulé Khadija and The Elephant Toothpaste Experiment, qui met en scène une jeune musulmane explorant le monde de la science.

Aujourd'hui, dans mon rôle de directrice de la recherche et des politiques à Evidence for DemocracyNote de bas de page 161, je comble le fossé entre la science et la politique. J'ai mené des recherches sur la transparence de l'utilisation des données probantes dans l'élaboration des politiques, j'ai co-élaboré le programme de formation Science To Policy Accelerator et j'ai même témoigné des défis actuels de la science au Canada devant le Comité permanent des sciences et de la recherche.

 

5.4 Appels à l'action : comment continuer de favoriser une relation bidirectionnelle entre la science et la société

  1. Faire preuve de clarté, employer un langage simple et intégrer les principes fondamentaux de la communication scientifique inclusive lorsqu'il s'agit de rédiger un texte scientifique. Il faut d'abord comprendre qui est notre public et adapter notre message en conséquence. Selon Stableford et MettgerNote de bas de page 162, « La clarté de la communication repose sur un langage clair. Alors que certains pensent à tort que ce terme signifie simplement utiliser des mots simples ou, pire, « simplifier les choses », il s'agit en fait de communications qui interpellent le public visé et qui lui sont accessibles ».
  2. Mettre en œuvre des mécanismes afin que le langage scientifique soit accessible, dès la production et la communication de la science. Les publications universitaires et les organismes de financement (et les organismes tiers) peuvent intégrer, voire rendre obligatoire, la présentation de résumés en langage clair ou de résumés « non techniques » avec le manuscrit ou dans le cadre du processus de demande de subvention. Cela permettra de garantir que lorsque les résultats de la recherche sont rendus publics (p. ex., dans un communiqué de presse ou sur un site Web), ils sont en fait accessibles au grand public. Par exemple, des publications universitaires comme FACETSNote de bas de page 163 offrent maintenant aux auteurs de manuscrits la possibilité de soumettre un résumé en langage clair et simple, et le ministère fédéral des Pêches et des Océans (MPO) exige que tous les manuscritsNote de bas de page 164 dont l'auteur est un fonctionnaire du MPO soit accompagné d'un court résumé en langage clair.
  3. Créer et intégrer davantage d'occasions de formation en communications scientifiques dans les établissements universitaires, en tenant compte des différentes étapes de la carrière et d'une formation adaptée aux différents médias. WNous demandons aux départements et aux facultés universitaires de revoir leurs programmes d'études de premier et de deuxième cycle et d'examiner où ils pourraient intégrer une formation en communication scientifique (p. ex., sous forme de cours obligatoire ou de composante intégrée aux cours). Les solutions peuvent aller de l'élargissement de la portée des programmes d'études de premier et de deuxième cycle à des séances de formation sur des méthodes de communication plus nuancées à l'intention des cadres supérieurs et des professeurs. Nous demandons également aux formateurs et aux professeurs d'intégrer une formation sur la communication scientifique dans les travaux pratiques, et à envisager la possibilité de donner des travaux plus créatifs ou novateurs. Il peut s'agir d'apprendre les principes fondamentaux de la communication scientifique et d'appliquer ces concepts à différentes formes de mobilisation du grand public, notamment en s'adressant à des représentants élus, en accordant des entrevues aux médias et en dirigeant des efforts communautaires locaux.
  4. Tirer profit des efforts déployés pour que la mobilisation du grand public dans le domaine de la science soit amusante et inclusive, et contribuer à démystifier la science. Il s'agira de tirer profit de l'intérêt suscité par la pandémie, de rendre la science amusante en adoptant des modèles de mobilisation du grand public plus interactifs ou non traditionnels, et d'intégrer des modèles de ce type dans les célébrations existantes, comme la Semaine de la culture scientifique. Les efforts doivent également porter sur la mobilisation du public multilingue et l'exploration des processus utilisés en science, et pas seulement sur les nouvelles avancées scientifiques. De nombreux efforts de ce genre sont déployés par des centres et des musées scientifiques, ainsi que par des organismes communautaires et des collectivités. Il sera donc essentiel de veiller à ce que des sources de financement durables soient accessibles pour ces activités de promotion des sciences.
  5. Déployer des efforts institutionnels pour valoriser et encourager la participation à la communication scientifique et à la mobilisation du grand public. Les communicateurs scientifiques devraient être rémunérés pour leurs efforts, tout comme le sont les spécialistes des communications ou du marketing. Les institutions devraient considérer la communication scientifique comme une composante à évaluer lors des décisions d'embauche, de promotion et de permanence, ainsi que dans les demandes de subventions. Enfin, les subventions accordées devraient inclure des fonds réservés à l'embauche d'un spécialiste de la communication ou, à long terme, les institutions devraient permettre aux chercheurs d'avoir accès à des spécialistes de la communication afin de s'assurer que la science n'est pas isolée dans les laboratoires ou inaccessible à cause de frais d'accès.
  6. Protect individuals who participate in public engagement and science communication efforts from harassment. Par exemple, les établissements universitaires peuvent soutenir, reconnaître et faciliter les efforts déployés par leurs employés en matière de mobilisation du grand public. Les établissements devraient proposer des formations en matière de cybersécurité afin de préparer les scientifiques au cas ils feraient l'objet de harcèlement, et être prêts à prendre des mesures de protection (p. ex., masquer temporairement les coordonnées des chercheurs qui reçoivent des messages haineux). Ils devraient également prendre des mesures pour empêcher la diffusion de désinformation par leurs propres employés (p. ex., dans le cas de médecins qui utilisent de façon abusive leurs titres pour diffuser de la désinformationNote de bas de page 165, les commissions médicales peuvent tenir ces personnes responsables conformément aux lois existantes sur la protection des consommateurs et aux lois des États). Enfin, si les plateformes de médias sociaux ont pris certaines mesures pour lutter contre la désinformation et le harcèlement, elles peuvent aller encore plus loin en consacrant davantage de ressources aux décisions relatives à la modération du contenu (p. ex., suppression de messages, interdiction) et en élargissant les catégories permettant de signaler les messages impliquant du harcèlement ou de la désinformation.

 

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6. La prochaine génération d’avis scientifiques

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE)Note de bas de page 166 a été ratifiée par plus de 194 pays (à l'exception de la Somalie, du Sud-Soudan et des États-Unis). L'article 12 de la CDE stipule que « les jeunes ont le droit d'exprimer librement leur opinion et d'être écoutés sur toutes les questions qui les concernent ». L'une des façons de faire consiste à leur donner la possibilité de participer à la gouvernance et à la prise de décisions au niveau local, comme les conseils jeunesse.

Un conseil jeunesse est une entité qui est consultée principalement sur les questions qui concernent les jeunes, et qui offre également la possibilité aux jeunes d'exprimer leurs préoccupations, de contribuer à la prise de décisions et de faire entendre leur voix de manière significative. On trouve de tels organismes dans différents contextes à travers le mondeNote de bas de page 167, notamment dans divers ordres de gouvernement ou des organismes sans but lucratif, ou intégrés à des services gouvernementaux qui existent déjà. Ils peuvent également être appelés commissions ou conseils consultatifs des jeunes, et peuvent prendre des formes dérivées, comme les parlements de jeunes. Ce qui rend les conseils jeunesse uniques, c'est leur lien avec le processus décisionnel, comme c'est le cas pour le Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef, qui apporte sa contribution et ses conseils à Mona Nemer et à son bureau.

Aujourd'hui, il existe un certain nombre d'organismes dirigés par des jeunes, de groupes chargés de définir la politique scientifique qui sont gérés par des étudiants, ainsi que de conseils fédéraux de la jeunesse, p. ex., le Dialogue sciences et politiquesNote de bas de page 168, le Conseil jeunesse du premier ministreNote de bas de page 169, et le Conseil consultatif de la jeunesse de l'Institut du développement et de la santé des enfants et des adolescents (IDSEA) des IRSCNote de bas de page 170.

 

Inclure la prochaine génération dans les conseils scientifiques et le processus décisionnel : Le Comité intersectoriel étudiant

 

Créé en 2014, le Comité intersectoriel étudiant (CIE)Note de bas de page 171 était à l'origine le comité consultatif étudiant propre au scientifique en chef du Québec. Depuis, il est devenu un comité statutaire du Fonds de recherche du Québec (FRQ), c'est-à-dire des organismes provinciaux de financement de la recherche du Québec (sciences de la santé, sciences sociales et humaines, sciences naturelles et technologie). Le mandat du CIE est de conseiller le scientifique en chef et les trois conseils d'administration du FRQ en définissant des stratégies pour améliorer le financement et l'accessibilité des études supérieures, mieux soutenir les différentes formes d'excellence en recherche et promouvoir la recherche menée par les étudiants.

La CIE regroupe des étudiants de niveau collégial, de premier cycle, de maîtrise et de doctorat, ainsi que des chercheurs postdoctoraux, provenant de toutes les disciplines universitaires et de tous les milieux de formation. Au fil des ans, la CIE a prouvé son rôle essentiel au sein du FRQ et de l'écosystème de recherche québécois, notamment en effectuant des réflexions approfondies qui ont amené le FRQ à mettre à jour ses programmes de bourses et à en créer de nouveaux (ex : résidences scientifiques postdoctoralesNote de bas de page 172 au sein des bureaux internationaux du Québec).

Devenu un comité statutaire, le CIE fait partie intégrante de la structure de gouvernance du FRQ. Plus important encore, un membre différent de la CIE siège au conseil d'administration de chacun des organismes subventionnaires, ce qui permet à la nouvelle génération de participer directement à l'élaboration des stratégies et aux décisions relatives au financement et à la formation des chercheurs. Madison Rilling, membre du Conseil jeunesse, a été vice-présidente de la CIE de 2016 à 2019 et a également siégé au conseil d'administration du FRQ.

 

6.1 Réflexions sur la participation des jeunes

Aussi réconfortant que soit ce progrès dans l'augmentation des occasions offertes aux jeunes, la participation des jeunes comporte un certain nombre de défis et de limites. Par exemple, un sondage ouvert auprès de jeunes et d'adultes participant à 32 conseils jeunesse différents à travers le CanadaNote de bas de page 173 a révélé que, même si la majorité des anciens participants estimaient que les conseils jeunesses leur permettaient de se faire entendre, leurs succès n'étaient pas sans défi , incluant un soutien limité de la part des adultes, des niveaux de mobilisation variables parmi les jeunes, la nécessité de faire face à la politique de coopération symbolique et à la bureaucratie, la gestion d'horaires chargés et la difficulté de recruter des jeunes appartenant à des communautés historiquement exclues, comme les jeunes sans-abri.

De même, en tant que membres du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef, nous avons également été confrontés à ces difficultés de croissance, sans doute encore compliquées par le fait que notre conseil a été mis sur pied en pleine pandémie. En tant que conseil national formé de jeunes gens se trouvant dans des périodes de transition typiques de leur vie, nous avons également dû faire face à des difficultés pour gérer les changements d'emploi du temps et de priorités, d'autant plus que la COVID-19 a eu des répercussions sur le rythme de production des renseignements et des données dans tous les aspects de la science.

De plus, les recherches empiriquesNote de bas de page 167 permettant de savoir comment et dans quelle mesure la participation des jeunes peut contribuer à la politique sont limitées. Au sein des conseils jeunesse, on a tendance à mettre l'accent sur le perfectionnement individuel et les avantages éducatifs pour les jeunes, plutôt que sur la valeur pratique ou l'incidence de leur contribution au processus décisionnel.

 

Toronto Science Policy Network

 

En 2018, un groupe d'étudiants diplômés de l'Université de Toronto, dont Molly Sung et Farah Qaiser, a cofondé le Toronto Science Policy NetworkNote de bas de page 106, un groupe chargé de définir la politique scientifique qui est géré par des étudiants. Notre objectif était de créer un espace pour que les stagiaires et les chercheurs puissent se renseigner sur la politique scientifique et y participer dans le cadre d'ateliers, de groupes d'experts et de campagnes.

Nos efforts démontrent comment les stagiaires peuvent jouer un rôle essentiel dans la défense des intérêts et les politiques scientifiques, et offrir des points de vue essentiels au processus décisionnel. Par exemple, en 2019, nous avons été l'un des principaux organisateurs de la campagne Vote ScienceNote de bas de page 174, une initiative non partisane visant à défendre les intérêts de la science lors des élections fédérales. Nos efforts ont permis à plus de 600 Canadiens d'envoyer un courriel à leurs candidats fédéraux locaux et de faire part de leur soutien à la science.

En 2021, nous avons mené un sondage auprès des étudiants diplômés au sujet de la COVID-19Note de bas de page 5. Nous avons été l'un des premiers à consulter et à entendre directement plus de 1 400 étudiants diplômés à travers le Canada, et à comprendre les premières répercussions de la pandémie de COVID-19. Nous avons entendu comment la COVID-19 a eu une incidence sur la capacité des étudiants diplômés de mener des recherches, et avons pris connaissance des préoccupations généralisées concernant la stabilité financière et la santé mentale, et de l'incertitude quant à la capacité d'obtenir un diplôme en raison des changements provoqués par la COVID-19. Par conséquent, nous avons formulé un certain nombre de recommandations visant à mieux soutenir les étudiants diplômés au Canada.

Aujourd'hui, le Toronto Science Policy Network poursuit ses activités et a inspiré la création d'autres groupes chargés de définir la politique scientifique qui sont gérés par des étudiants partout au Canada, dont le Réseau de politique scientifique d'OttawaNote de bas de page 175. Nous espérons voir d'autres groupes de ce genre dirigés par des étudiants à l'avenir!

 

6.2 Possibilités en avis scientifiques pour la prochaine génération

La pandémie de COVID-19 a stimulé l'intérêt des stagiaires et des professionnels en début de carrièreNote de bas de page 176 à l'égard du monde de la politique et des avis scientifiques, d'autant plus que les scientifiques et leurs contributions au processus d'élaboration des politiques ont été à l'avant-plan de la crise. Nous devons continuer de faire participer la prochaine génération et de faire entendre sa voix en matière de politique, non seulement pour renforcer les capacités, mais aussi pour nous assurer que nous sommes mieux préparés à relever la prochaine série de défis.

Pour ce faire, nous devons être ouverts et attentifs aux contributions de nombreux secteurs de la société pour s'attaquer à ces défis. Il faut encourager la prochaine génération de scientifiques à explorer la manière dont les solutions aux défis peuvent être mises en œuvre en reconnaissant le rôle d'autres disciplines comme la réglementation, l'économie, la finance et la logistique. Pour comprendre où se situe son principal champ d'études dans la société et dans l'économie, il est essentiel de compter sur une collaboration interdisciplinaire. Une participation bien équilibrée sera la clé pour la prochaine génération de scientifiques.

Mais lorsque nous invitons les membres de la prochaine génération de scientifiques et de travailleurs à la table des décisions, nous devons déployer des efforts supplémentaires pour garantir une véritable inclusion où leurs priorités sont prises en compte de manière significative; il ne faut pas que la mobilisation des jeunes prenne la forme d'un simple formulaire de cases à cocher. Les jeunes sont souvent dépeints comme idéalistes et irréalistes dans leur vision d'un avenir meilleur, mais précisément pour cette raison que les points de vue des jeunes sont essentiels et doivent être pris en compte. La ferme conviction qu'un avenir meilleur est toujours possible et qu'il vaut la peine d'y aspirer est notre plus grande force, et c'est le meilleur moyen de se prémunir contre la complaisance.

6.3 Appels à l'action : comment intégrer les voix de la prochaine génération au processus décisionnel

  1. Créer et intégrer des conseils de jeunes (ou d'autres formes de participation des jeunes) dans les établissements universitaires et les ordres de gouvernement. Par exemple, des conseils peuvent être créés dans des milieux de recherche, comme le Human Environments Analysis Laboratory Youth Advisory Council (HEALYAC)Note de bas de page 177. Heureusement, il est facile de mettre sur pied un conseil jeunesse, d'autant plus qu'il existe de nombreuses études de cas riches et descriptives, ainsi que des guidesNote de bas de page 178 et des boîtes à outilsNote de bas de page 179.
  2. S'efforcer de garantir une véritable inclusion des voix et des points de vue des jeunes dans les processus décisionnels. Les conseils jeunesse ne doivent pas remplacer d'autres formes de consultation, notamment les sondages, les organismes de jeunes, les forums de jeunes, la recherche participative des jeunes ou l'exploration de structures différentes (comme un siège réservé aux jeunes ou à un professionnel en début de carrière au sein du conseil d'administration de l'organisation). Dans certains cas, il ne s'agit pas de créer un nouveau mécanisme jeunesse, mais d'assurer la représentation ou une meilleure intégration des jeunes dans les entités ou espaces décisionnels existants. Comme toujours, il est important de consulter directement les communautés et de cocréer des structures et des espaces avec lesquels les jeunes sont à l'aise et qui leur sont accessibles pour garantir leur participation.

 

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7. Conclusion

En tant que membres du Conseil jeunesse de la conseillère scientifique en chef, nous avons vu le monde tenter de s'attaquer à de grands enjeux nuancés, comme la pandémie de COVID-19, les changements climatiques, le racisme systémique et les conflits politiques. Nous voyons comment tous ces enjeux sont liés et interagissent avec la science, tant au niveau national qu'international. Et si nous reconnaissons que nous avons encore beaucoup à apprendre, nous savons aussi que nous avons beaucoup à apporter.

Nous espérons que les appels à l'action décrits dans le présent document serviront de point de départ à l'instauration d'une culture scientifique plus inclusive, collaborative, ouverte, interdisciplinaire et réfléchie, et que ces changements influenceront positivement tous les aspects de la vie au Canada. Ce travail nécessaire ne se fera pas du jour au lendemain, et nous ne pouvons pas le faire seuls - et surtout, cher lecteur, nous aurons besoin de votre voix et de votre participation dans nos efforts pour rendre la science meilleure pour tous, aujourd'hui et à l'avenir.

 

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8. Auteurs collaborateurs

  • Ali Sbayte (ingénieur électricien)
  • Amelia Hunter (biotechnologiste)
  • Andréa Cartile (chercheuse et candidate au doctorat; Département de génie mécanique, industriel et aérospatial, Université Concordia)
  • Audrey Laventure (professeure adjointe, Département de chimie, Université de Montréal; Chaire de recherche du Canada sur les matériaux polymères fonctionnels)
  • Chelsie Johnson (spécialiste de la planification des urgences sanitaires, York Region Public Health; membre du conseil d'administration du TAIBU Community Health Centre; fondatrice de Public Health Fact Checkers)
  • Member, TAIBU Community Health Centre Board of Directors; Founder, Public Health Fact Checkers)
  • Farah Qaiser (directrice de la recherche et des politiques, Evidence for Democracy)
  • Justine Ammendolia (coordinatrice de projet, Global PPE Tracking Initiative)
  • Keeley Aird (étudiante à l'Université McMaster; cofondatrice de STEM Kids Rock)
  • Landon J. Getz (boursier Vanier et lauréat Killam; Département de microbiologie et d'immunologie, Université Dalhousie)
  • Madison Rilling (directrice générale, Optonique; Optica Pivoting Fellow de 2021-2022)
  • Marie-Ève Boulanger (directrice du développement des affaires chez Mitacs et Pinq2)
  • Max King (ingénieur en aérospatiale)
  • Molly Meng Hua Sung (chercheuse scientifique chez Acuitas Therapeutics)
  • Natasha Jakac-Sinclair (professionnelle de l'accès au marché)
  • Sara Guzman (chimiste dans l'équipe de recherche et développement scientifique de Santé Canada)
  • Sophie Poirier (étudiante en droit à l'Université de Montréal)
  • Taylor Morriseau (boursière Vanier et candidate au doctorat; Département de pharmacologie et de thérapeutique, Université du Manitoba)

 

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