La science en bref 1 : Les faits et les valeurs

Les faits et les valeurs

Quand il s’agit de faire des déclarations sur le monde, nous pouvons considérer deux types d’énoncés. L’énoncé « est » (ou factuel) concerne la façon dont le monde était, est ou sera. L’énoncé « devrait » (normatif ou qui renvoie aux valeurs) concerne la façon dont le monde aurait dû être ou devrait êtreNote de bas de page 1.

Pour les décideurs, la distinction entre faits et valeurs est importante pour au moins deux raisons. Premièrement, la science s’intéresse directement aux énoncés factuels : elle ne s’intéresse pas directement aux énoncés normatifs. Dans la mesure où les décisions sont fondées sur des affirmations factuelles, la science peut fournir des preuves de la véracité (ou non) de ces affirmations. Mais la science ne peut pas éclairer directement les questions sur les valeurs les plus importantes à respecter ou à prendre en considération dans la prise de décisions.

Deuxièmement, il est problématique de déduire la validité d’un énoncé normatif uniquement de la véracité d’un énoncé factuelNote de bas de page 2. Supposons, par exemple, que le port du masque réduit effectivement le risque d’infection par le SRAS-CoV-2. Même si cet énoncé factuel est fondé, on ne peut pas en déduire que nous devrions donc imposer le port du masque. Pourquoi? Parce que pour toutes les décisions, il y a plusieurs valeurs à prendre en compte. Bien que la réduction du taux de propagation de la COVID-19 soit un objectif stratégique important, il pourrait en être de même pour ce qui est de réduire au minimum les limitations du choix personnel ou de réduire la quantité de déchets d’équipements de protection individuelle. Si l’un de ces deux derniers objectifs était considéré comme plus important que la réduction de la propagation de la COVID-19, il serait alors peu probable que nous imposions le port du masque, même si celui-ci réduit effectivement le risque d’infection.

« Se fier » à la science

La science ne peut pas nous dire directement ce que nous devrions (ou ne devrions pas) faire : elle peut seulement nous dire ce qui est susceptible de se produire si nous faisons (ou ne faisons pas) quelque chose. Par exemple, aucune science au monde ne peut nous dire que nous devrions imposer la vaccination obligatoire. Cependant, la science médicale peut potentiellement nous dire quels seront les effets d’une vaccination obligatoire sur, par exemple, le taux de propagation de la COVID-19. Et la science économique peut potentiellement nous dire quels effets potentiels sont susceptibles d’avoir la vaccination obligatoire sur, par exemple, l’emploi dans le secteur des services. Les deux estimations peuvent s’avérer utiles pour éclairer les décisions relatives à la vaccination obligatoire.

Les résultats souhaités et non souhaités des décisions stratégiques sont simplement l’expression des valeurs considérées comme les plus importantes pour une décision. Une fois que ces résultats ont été précisés, la science pertinente (a) détermine la meilleure façon d’atteindre les résultats souhaités ou d’éviter les résultats non souhaités; ou (b) éclaire sur la probabilité d’atteindre les résultats souhaités ou d’éviter les résultats non souhaités si une décision spécifique est prise. « Se fier à la science » revient donc à prendre une décision pour laquelle il existe des preuves scientifiques suffisamment convaincantes que non seulement la décision peut atteindre les résultats souhaités (ou éviter les résultats non souhaités), mais qu’elle va effectivement le faire.

Les valeurs de la science

Les scientifiques s’efforcent d’être objectifs et impartiaux, mais comme les scientifiques sont aussi des êtres humains, une objectivité et une impartialité sans failles sont impossiblesNote de bas de page 3. Pour cette raison, les décideurs doivent envisager la possibilité que les résultats scientifiques - ou leur interprétation - puissent être influencés par des intérêts concurrentsNote de bas de page 4, des préjugés conscients ou inconscientsNote de bas de page 5, des influences sociales ou même les propres valeurs du scientifiqueNote de bas de page 6.

La science elle-même n’est pas exempte de valeursNote de bas de page 7. Par exemple, pour vérifier si une hypothèse est étayée, les scientifiques doivent déterminer si les résultats des études correspondent aux prédictions. Puisqu’il n’y a jamais de correspondance parfaite, cela signifie qu’il faut déterminer si la concordance est « suffisamment proche » pour pouvoir légitimement déduire que les résultats des études soutiennent l’hypothèse.

« À quel point est-ce assez proche? » n’est pas une question factuelle, c’est une question normative. Bien que les scientifiques se soient (plus ou moins) mis d’accord sur une réponse consensuelle, cette réponse reflète un énoncé de valeur fondamentale : pour les scientifiques, l’erreur associée à la déduction du fait qu’une hypothèse est vraie alors qu’elle est en réalité fausse est pire que l’erreur de déduction qu’elle est fausse alors qu’elle est en réalité vraie.

Types de faits

Il existe quatre types d’énoncés factuels : les observations, les estimations, les modèles et les hypothèses causales, soit des faits respectivement de premier type, de deuxième type, de troisième type et de quatrième type (tableau 1).

Type de fait Description Exemple
Observation/mesure (1er type) Un énoncé concernant la valeur d’une observation ou d’une mesure individuelle. La température à Ottawa, le 16 février 2022, à midi, était de -14°C.
Estimation (2e type) Un énoncé concernant la valeur d’une certaine quantité basée sur un ensemble d’observations ou de mesures individuelles. Le revenu moyen des particuliers canadiens en 2019 était de 49 000 $Note de bas de page 8.
Modèle (3e type) Un énoncé concernant la relation empirique entre deux ou plusieurs attributs d’intérêt provenant d’un ensemble (« échantillon ») d’observations. En réponse à la vaccination, les concentrations d’anticorps neutralisants atteignent leur maximum deux semaines après l’injectionNote de bas de page 9.
Hypothèse causale (4e type) Un énoncé concernant l’effet d’une modification d’un attribut d’intérêt (la « cause ») sur un ou plusieurs autres attributs d’intérêt (l’« effet »). La distanciation physique réduit le taux de propagation de la COVID-19Note de bas de page 10.

La distinction entre les différents types de faits est importante pour les décideurs pour au moins deux raisons. Lorsque l’on passe des énoncés factuels du premier au quatrième type :

  • La difficulté d’établir la véracité de l’énoncé factuel augmente considérablement : il est beaucoup plus facile de déterminer que la température est de -14 °C que de déterminer que l’isolement après un test PCR positif réduit le taux de propagation de la COVID-19.
  • Les risques pour les valeurs d’une personne augmentent souvent de façon spectaculaire. En effet, quelles que soient mes valeurs, il est peu probable que le fait qu’il fasse effectivement -14 °C à l’extérieur les affecte de manière significative. Cependant, la question de savoir si l’affirmation selon laquelle l’isolement après un test positif réduit la propagation de la COVID-19 est vraie peut avoir de profondes répercussions pour bon nombre de mes valeurs — et pour les vôtres.

Pour ces deux raisons, les faits du troisième - et surtout du quatrième - type sont beaucoup plus susceptibles d’être contestés que ceux du premier ou du deuxième type, non seulement par le public, mais aussi par les scientifiques eux-mêmes.

Les prédictions quant aux conséquences de décisions susceptibles d’être prises sont toujours basées sur une ou plusieurs hypothèses causales sous-jacentes (généralement implicites) - précisément les types de faits dont la véracité est la plus difficile à établir et qui sont les plus contestés. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que, même lorsque les meilleures preuves disponibles sont utilisées de manière appropriée, les décisions touchant des valeurs importantes soient toujours très contestées et que les résultats réels puissent ne pas correspondre à ceux prédits.