Les décideurs en tant que juges de la preuve
Pour pratiquement tous les énoncés factuels pertinents pour la prise d’une décision, il y aura des preuves contradictoires, c’est-à-dire une preuve que l’énoncé est vrai (preuve positive) et une preuve qu’il est faux (preuve négative). L’évaluation impartiale de la preuve exige donc (a) que l’énoncé factuel en cause soit défini de manière à ce que l’on sache clairement ce qui constitue une preuve pertinente; (b) que les éléments de preuve pertinents soient recueillis et évalués; et (c) qu’en fonction de cette pondération, le décideur détermine si, aux fins de la prise d’une décision, il considérera l’énoncé comme vrai (ou faux). Ainsi, qu’ils le veuillent ou non, les décideurs doivent agir comme des arbitres de la preuve ou des juges de la preuve.
Types de preuve
Les décideurs doivent s’attendre à avoir à leur disposition au moins deux types de preuveNote de bas de page 1. La preuve issue de la recherche est produite grâce à l’application d’une ou plusieurs méthodes de recherche systématiques. L’une de ces méthodes est la méthode scientifiqueNote de bas de page 2. La preuve expérientielle est fondée sur l’accumulation de connaissances, de compréhension, de compétences ou d’expertise personnelles ou professionnelles et peut refléter l’expérience collective de personnes ayant pratiqué ou vécu dans un cadre ou un environnement particulier.
La pondération de la preuve
Une évaluation du poids de la preuve nécessite deux évaluations différentes. Dans un premier temps, l’évaluateur doit évaluer la solidité de chaque élément de la preuve recueillie (issue de la recherche ou expérientielle) considéré isolément. Pour ce faire, il se demande : Compte tenu uniquement de cet élément de preuve positive, à quel point suis-je convaincu que l’énoncé est vrai? Pour évaluer la solidité d’un élément de la preuve négative, il se demande : Compte tenu uniquement de cette preuve négative, dans quelle mesure suis-je convaincu que l’énoncé est faux? On peut considérer que la solidité de chaque élément de la preuve (positive ou négative) détermine son poids, une preuve faible étant légère et une preuve solide étant lourde.
Ensuite, l’évaluateur doit évaluer la solidité de chacune des collectes de preuves positives et négatives : c’est-à-dire les ensembles de preuves positives et négatives. Leur poids est déterminé, au moins en partie, par le poids des éléments individuels qui composent l’ensemble de preuves (figure 1).
La différence de poids entre les ensembles de preuves positives et négatives donne une mesure de la probabilité que l’énoncé soit vrai. Si, par exemple, le poids des preuves positives est beaucoup plus important que celui des preuves négatives, cela suggère que l’énoncé est beaucoup plus susceptible d’être vrai que faux. En revanche, si le poids de l’ensemble des preuves négatives est beaucoup plus important que celui de l’ensemble des preuves positives, cela suggère que l’énoncé est beaucoup plus susceptible d’être faux que vrai.
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Fig. 1 - Version textuelle
Figure 1. La pondération de la preuve. Dans cet exemple, il y a 2 éléments de preuve positive (en vert), tous deux relativement faibles comme l’indique leur petite taille, et 5 éléments de preuve négative plus solides (en rouge). Étant donné que le poids de la preuve négative (W-) est supérieur au poids de la preuve positive (W+), l’énoncé est plus susceptible d’être faux que vrai. Et plus la différence de poids (ΔW) est grande, plus la confiance dans cette conclusion est grande.
Incertitude et poids de la preuve
La valeur probante peut également être utilisée pour générer un indice approximatif d’incertitude. Pour les hypothèses pour lesquelles le poids des preuves positives est beaucoup plus important que le poids des preuves négatives, l’inférence que l’énoncé est vrai serait considérée comme ayant une incertitude comparativement faible. En revanche, si la différence de poids entre les deux ensembles est faible, on pourrait quand même déduire qu’il est vrai, mais ici l’incertitude associée est beaucoup plus élevée (figure 2).
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Figure 2 - Version textuelle
Figure 2. La relation entre la différence de poids (ΔW) des ensembles de preuves positives (W+) et négatives (W-) et l’incertitude associée à la conclusion que l’énoncé est vrai (ΔW > 0) ou faux (ΔW < 0). Au fur et à mesure que la différence de poids des deux ensembles de preuves s’approche de zéro, l’incertitude associée à l’une ou l’autre conclusion augmente.
Les ensembles de preuves
Il y a quatre ensembles différents de preuves possibles. L’un d’eux est l’ensemble (inconnaissable) de tous les éléments de preuve existants relatifs à un énoncé particulier (l’« univers de la preuve »).
Le second est l’ensemble des preuves qui pourraient être accessibles aux personnes qui recueillent des preuves. Cet ensemble sera nécessairement un sous-ensemble de l’univers des preuves. Par exemple, un phénomène bien documenté est le problème dit du « tiroir classeur », selon lequel les résultats d’études scientifiques qui pourraient être pertinents pour un énoncé factuel ne sont pas publiés (pour diverses raisons) et, par conséquent, ne seront généralement pas disponiblesNote de bas de page 3.
Un autre encore concerne les preuves qui sont raisonnablement disponibles. Compte tenu des ressources inévitablement limitées pour la collecte de preuves, certaines preuves potentiellement disponibles ne seront tout simplement pas recueillies. Il s’agit généralement de preuves dont la collecte demande beaucoup de temps ou d’efforts.
Enfin, il y a les preuves qui sont effectivement recueillies. Elles seront différentes de celles qui pourraient être disponibles pour un certain nombre de raisons, en particulier les méthodes employées pour les recueillir.
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Figure 3 - Version textuelle
Figure 3. Quatre différents ensembles de preuves pertinentes pour un énoncé factuel : toutes les preuves possibles (l’univers des preuves); celles qui sont potentiellement disponibles; celles qui sont raisonnablement disponibles et celles qui sont recueillies. Dans cet exemple, les carrés et les cercles désignent respectivement les preuves expérientielles et issues de la recherche, qui peuvent être positives (en vert) ou négatives (en rouge). Dans cet exemple, à mesure que l’on passe de l’univers des preuves aux preuves recueillies, l’échantillon devient de plus en plus biaisé par rapport aux preuves expérientielles et négatives. Le résultat est que, même si le décideur a évalué et pesé les preuves de l’échantillon (rassemblé) de manière appropriée, il sera plus convaincu de la véracité de l’énoncé qu’il ne devrait l’être.
La conséquence de ces limitations est que les preuves recueillies pourraient bien être un petit échantillon biaisé de l’univers des preuves (figure 3).
Au fur et à mesure que les connaissances s’accumulent, l’univers des preuves change. Les énoncés pour lesquels il existait au départ, par exemple, des preuves fort incertaines pourraient, au fil du temps, susciter une accumulation de plus de preuves positives que de preuves négatives, de sorte que le poids de la preuve en faveur de la véracité de l’énoncé augmente. D’autre part, les énoncés pour lesquels il y avait initialement des preuves positives pourraient, au fil du temps, accumuler rapidement des preuves négatives, auquel cas la véracité de l’énoncé devient de plus en plus douteuse. Il peut (et doit) en résulter un changement de décision, peut-être même une « volte-face »Note de bas de page 4.