Un siècle de science à l’île Herschel

Écrit par Scott Dallimore et Stephen Wolfe

Comme nous l’avons dit plus tôt, l’exécution du programme scientifique à bord de l’Araon a commencé dès l’arrivée dans les eaux canadiennes avec une cartographie bathymétrique par système sonar multifaisceaux monté en coque et une imagerie de la géologie souterraine par sondeur de sédiments. Après quelque 36 heures de navigation et d’activités scientifiques, le navire s’est arrêté à l’île Herschel pour prendre à son bord trois observateurs des mammifères marins qui joueront un rôle vital dans l’exécution de notre programme de sismique multicanaux. Scott Dallimore et Stephen Wolfe de la CGC ont assuré la coordination logistique pour ce rendez-vous sur l’île Herschel; nous devons l’accès au site aux services de l’entreprise Gwich’in Helicopters fournis dans le cadre du Programme du plateau continental polaire.

Le vol d’Inuvik à l’île, d’une durée d’environ une heure et demie, traverse le delta du Mackenzie (deuxième en superficie dans l’Arctique), puis longe le Versant nord du Yukon. Le paysage est décidemment spectaculaire, tout comme l’est l’histoire de la région. En 1987, conformément à un accord passé avec les Inuvialuit, le gouvernement du Yukon a reconnu le caractère unique de l’île Herschel en en faisant un parc territorial, le Herschel Island-Qikiqtaruk Territorial Park.

Dans son fascinant site Web http://www.env.gov.yk.ca/camping-parks/HerschelIslandQikiqtaruk.php, le gouvernement du Yukon explique que pendant des millénaires l’île Herschel a été pour les Inuvialuit une base de pêche et de chasse, y compris à la baleine. En inuvialuktun, elle est désignée par le mot Qikiqtaruk, qui signifie simplement « l’île ». Après la première visite de Sir John Franklin en 1826, Qikiqtaruk a beaucoup changé. Vers la fin du XIXe siècle, les eaux abritées de la baie Thetis et de l’anse Pauline ont attiré la florissante flotte baleinière, qui, après avoir décimé la population de baleines à fanons dans le Pacifique-Nord, se déployait maintenant dans la mer de Beaufort. Une station baleinière fut installée à l’anse Pauline. Avec des dizaines de navires hivernant à cet endroit, la population pouvait dépasser un millier de personnes. Cette époque tumultueuse a eu des effets environnementaux et sociaux qui sont allés bien au-delà de la décimation des populations de baleines boréales. Plusieurs constructions de l’époque s’y trouvent toujours.

L’île Herschel est aussi un centre d’intérêt scientifique depuis plus d’un siècle. De 1913 à 1916, la première expédition scientifique parrainée par le gouvernement canadien (en clair, la CGC!) – y eut son camp de base, ainsi qu’à la pointe King, tout près. À leur humble façon, Scott et Stephen sont eux-mêmes des vétérans de la recherche scientifique dans la région : en 1986 et 1987, ils ont passé près de 10 semaines à travailler à bord de petits zodiacs pour étudier la géologie de la côte du Yukon, y compris son pergélisol. Le temps fort de leur voyage fut leur arrêt à l’île – où, au milieu des anciennes constructions baleinières, se trouve un sauna! Scott était à l’époque un jeune scientifique à la CGC; Steve était un stagiaire d’été qui, peu après, est entré à l’emploi de la CGC comme scientifique spécialisé dans l’étude du pergélisol.

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Figure 1 : Scott Dallimore (CGC) se régale d’un bon repas de camp durant la campagne de terrain de l’été 1986.

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Figure 2 : Steve Wolfe (CGC) manipule des échantillons recueillis durant la campagne de terrain de l’été 1986.

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Figure 3: Steve, à l’été 1986, examinant des affleurements sédimentaires sur la côte du Yukon.

Trente ans plus tard, les sujets de recherche ne sont toujours pas épuisés! Pour cette campagne sur le terrain, nous voulons réévaluer toute la question glaciologique. Nous nous proposons en particulier d’examiner et de décrire la corrélation entre la géologie sous-marine, qui sera étudiée à partir de l’Araon, et la géologie terrestre. Notre intérêt pour cette question a été piqué lorsque Scott et Charlie Paull, un scientifique de l’Institut de recherche de l’aquarium de Monterey Bay (MBARI), en examinant un affleurement terrestre sur la côte du Yukon en 2013, ont observé un gisement de diamicton sédimentaire avec de très gros blocs délestés. Cette entité ressemblait beaucoup aux dépôts glaciaires que nous trouvons au large lors des plongées de notre véhicule télécommandé et de nos études géophysiques. Scott, Charlie et Michelle Côté, autre scientifique de la CGC, ont campé pendant trois jours à l’île Herschel en 2014 pour en rapporter des échantillons de galets.

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Figure 4 : À l’île Herschel en 2014, l’équipe de terrain formée de Charlie Paull (MBARI), Malcolm Nicol (CGC), Michelle Côté (CGC) et Scott Dallimore. En toile de fond, l’anse Pauline et une partie des anciennes constructions.

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Figure 5 : Michelle et Charlie préparent des échantillons de galets au quai de l’île Herschel en août 2014.

Cet été, Scott et Steve vont examiner de près les sédiments qui constituent l’île Herschel et qui semblent s’être formés sous l’effet de la poussée de la glace glaciaire contre d’anciens sédiments marins. On distingue nettement, en effet, des crêtes glacitectoniques ainsi que des affleurements de glace glaciaire enfouie datant de la glaciation du pléistocène. Ils prélèveront aussi des échantillons de sédiments glaciaires tout le long de la côte du Yukon et jusqu’à la frontière de l’Alaska afin de faire avancer la recherche sur l’origine de ces sédiments.