Le recours à la créativité pour prendre de grandes décisions : les conseils d’une directrice déléguée

Josée Owen est directrice déléguée à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Elle a également travaillé comme scientifique pour étudier les systèmes de culture horticole.

Quelle est la chose qui surprendrait les gens dans votre domaine des sciences agricoles?

En tant que scientifique, j’ai travaillé avec des amendements organiques — des substances ajoutées au sol pour en améliorer la santé et fournir des nutriments aux cultures. Nous avons travaillé sur différents amendements, notamment le compost, la boue provenant de la production de moules et le fumier provenant de différents animaux. La plupart des gens seraient surpris de constater à quel point il peut être satisfaisant d’étudier le fumier. Ces fumiers sont souvent considérés comme des déchets, mais ils constituent une ressource extraordinaire. Il est important d’étudier comment ils se décomposent dans le sol et comment les minéraux et les éléments deviennent assimilables par les plantes au fil du temps. Aujourd’hui, il y a de nouveaux aspects à étudier, notamment la façon dont les médicaments administrés au bétail influent sur l’environnement lorsqu’ils sont excrétés. Il y a beaucoup d’expressions qui donnent l’impression que le fumier est une ordure. Vous seriez surpris de voir à quel point le contraire est vrai!

Maintenant que je suis directrice déléguée d’un centre de recherche et de développement en agriculture, je pense que les gens seraient surpris de constater que je ne prends pas de décisions à longueur de journée. Mon travail consiste plutôt à trouver des moyens de permettre aux gens d’utiliser leur créativité, leur expertise et leur personnalité pour prendre des décisions sur la façon dont ils vont faire avancer la science dans leur domaine ainsi que permettre à leur tour à leurs propres collègues de prendre des décisions.

Comment avez-vous découvert votre métier?

J’ai pensé pour la première fois à faire des études en agriculture en 11e année, lorsque j’ai rédigé une dissertation pour un cours d’histoire ancienne sur les innovations chinoises dans l’utilisation des déchets humains comme engrais dans la vallée du Yangtze, un des premiers greniers du monde. Alors que j’avais du mal à trouver un programme universitaire qui me paraissait intéressant, je suis tombée sur un catalogue de cours pour le Collège Macdonald (McGill) et des cours sur la production laitière et la phytopathologie. J’ai commencé à penser que je ferais de la crème glacée et du fromage, mais j’ai fait des études en sciences végétales. Mes cours étaient si ennuyeux que j’ai décidé d’arrêter après la première année. Il se trouve que j’ai obtenu un emploi d’été comme étudiante avec le Dr Ed Schneider à AAC, à Ottawa. Il était phytopathologiste et mentor. Il travaillait sur les moisissures de neige dans le blé pâtissier tendre blanc. J’ai adoré et je suis retournée à l’école. Après ma maîtrise, j’ai travaillé comme agronome, puis je suis revenue à AAC comme rédactrice scientifique, puis comme biologiste de recherche, et maintenant je suis dans la gestion.

Quel est votre moment le plus marquant au travail?

J’ai vécu de nombreux moments inoubliables, depuis la première fois que j’ai participé à un essai sur le blé à Beachburg, en Ontario, en pensant à la chance que j’avais d’avoir un travail qui me permettait d’être sous un ciel bleu et de faire quelque chose que j’aimais. Je me souviens d’avoir suivi un cours sur la gestion et d’avoir été étonnée que le gouvernement, dans toute sa complexité, fonctionne aussi bien qu’il le fait, et de savoir qu’il le fait uniquement parce que les fonctionnaires travaillent extrêmement fort pour que tout cela se réalise. Je me souviens de la satisfaction de pouvoir embaucher le meilleur candidat, ainsi que du défi que représentait le fait d’aider une personne merveilleuse à prendre sa retraite pour des raisons médicales.

Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour soutenir les femmes en sciences?

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire. Premièrement, nous pouvons reconnaître que les femmes font face à des défis qu’elles ne devraient pas avoir à relever et qu’il y a des préjugés inconscients partout dans notre société. Cela ne demande ni pitié, ni culpabilité, ni commisération — il nous faut avoir le courage et la créativité nécessaires pour découvrir les racines de l’inégalité et les changer. Il en va de même pour toute inégalité.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes intéressés par une carrière scientifique?

Étudiez pour obtenir un diplôme en sciences. Pendant que vous le faites, abandonnez autant de cours magistraux que vous le pouvez, et allez plutôt voir vos profs et dites-leur que vous voulez des crédits pour faire des études indépendantes en travaillant sur leurs projets. Cela vous procurera un travail intéressant et un aperçu des vraies carrières, vous permettra de construire votre CV, vous permettra d’obtenir une mention de reconnaissance ou de co-rédaction d’articles scientifiques, et vous donnera de solides références. N’acceptez des emplois scientifiques qu’en été. Le travail de serveur peut être plus rémunérateur qu’un emploi en sciences, mais n’oubliez pas qu’il y a en fait beaucoup plus d’emplois pour les étudiants en sciences que pour les diplômés récents en sciences. Vous avez besoin des réseaux et des compétences pour obtenir un des emplois pour les diplômés récents.

Quels sont vos passe-temps et ont-ils une influence sur votre travail?

Je lis voracement — de la fiction, de la non-fiction, de la poésie, des essais, des magazines, des bandes dessinées, de tout. Cela m’aide à faire des liens et à penser de façon non linéaire, m’aide à écrire de façon cohérente et rapide, me fait réfléchir profondément et me fait grandir en humanité.

Quand je voyage, je recherche les marchés de producteurs. Je jardine, je cuisine et je fais du fromage. Ces passe-temps m’aident à comprendre les systèmes alimentaires sous d’autres angles que scientifiques.

Je joue aussi de la flûte et du piano. Jouer de la musique avec d’autres personnes m’aide à comprendre la communication non verbale et à développer des aptitudes de collaboration — en plus, c’est amusant!

Qu’espérez-vous voir dans votre domaine au cours des dix prochaines années?

J’espère que les obstacles systémiques à l’égalité des chances seront éliminés dans notre organisation. J’espère voir plus d’humanité, de courage et de justice dans la prise de décision. J’espère que notre domaine scientifique contribuera à accroître la sécurité alimentaire au pays et à l’étranger. J’espère que nos politiques se transformeront pour mettre davantage l’accent sur les aliments locaux et moins sur les exportations de produits alimentaires mondialisés. J’espère que les comportements des gens et l’utilisation des technologies nous permettront de commencer à inverser les changements climatiques. J’espère que les gens privilégieront le bien supérieur au profit individuel. Toutes ces choses sont possibles dans le domaine de l’agriculture.

 

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