Série scientifique sur l’Arctique : Une passion pour l’ours blanc

Lorsqu’une passion pour le plein air se conjugue à une connaissance des effets néfastes des produits chimiques sur l’environnement, une carrière vouée à l’étude de l’Arctique et de l’emblématique ours blanc canadien prend vie.

« L’Arctique et l’ours blanc m’ont toujours fasciné », déclare Robert Letcher, chercheur scientifique principal à Environnement et Changement climatique Canada. Il se souvient encore de cette révélation après avoir obtenu sa maîtrise en chimie. « Il a été démontré dans les années 1980 que l’Arctique n’était pas épargné par la pollution chimique. Le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord a été lancé en 1991, et je devais en faire partie. J’ai commencé ma thèse de doctorat la même année sur les polluants chez les ours blancs, sous la supervision de Ross Norstrom (maintenant décédé). J’étais déterminé à participer aux efforts visant à trouver des solutions. » Ses passions se sont combinées pour l’orienter vers l’étude des substances nocives pour la faune, les poissons, l’eau et la terre dans les écosystèmes du Nord, en accordant une attention particulière aux ours blancs.

Sur les 26 000 ours blancs qui vivent dans le monde, deux tiers de ces animaux se trouvent dans les régions nordiques uniques du Canada. Ils ont été inscrits sur la liste des espèces préoccupantes en vertu de la Loi sur les espèces en péril en 2011, une désignation donnée aux espèces qui peuvent devenir des espèces menacées ou en voie de disparition. L’ours blanc est confronté à de nombreux facteurs de stress en raison des conditions changeantes en Arctique, notamment les changements climatiques, la perte et la dégradation de son habitat dues à la disparition de la glace de mer et aux déversements d’hydrocarbures, ainsi que l’exposition aux polluants chimiques et leurs effets – et c’est la pièce du casse-tête de la recherche sur l’ours blanc dont s’occupe Robert.

Au-delà de l’importance culturelle des ours blancs pour les peuples autochtones et de leur utilisation intégrale par les Inuits pour se nourrir et se vêtir, un autre aspect est abordé dans les recherches d’Environnement et Changement climatique Canada. « L’ours blanc se situe au même niveau de la chaîne alimentaire que l’être humain, les deux étant au sommet », explique Robert. « Les peuples autochtones et les ours blancs consomment des aliments prélevés dans la nature similaires dans leur régime alimentaire, comme la graisse de baleine et les phoques. Les êtres humains sont donc confrontés à des risques d’exposition aux contaminants comparables à ceux des ours blancs. » Par conséquent, cette recherche sert donc d’appui à l’évaluation et à la détection rapide de problèmes pour la santé des espèces sauvages, mais aussi pour la santé humaine. Elle renforce également l’importance croissante de l’approche « One Health » (une seule santé), qui reconnaît le lien entre la santé des personnes, des animaux et de l’environnement, lors de la réalisation de recherches dans le Nord.

Pour assurer les activités de surveillance de cette recherche, Robert travaille en étroite collaboration avec les collectivités inuites au Nunavut. Après avoir chassé un ours blanc, les organisations de chasseurs et de trappeurs de Sanikiluaq, Whale Cove, Arviat, Rankin Inlet, Pond Inlet et Clyde River prélèvent des échantillons de graisse, de muscles, de foie et de dents utiles à la recherche. Robert affirme que les Inuits sont des partenaires égaux dans la recherche, et ils partagent les connaissances locales et traditionnelles utiles afin d’interpréter les données sur les contaminants des échantillons analysés dans le laboratoire au Centre national de la recherche faunique d’ECCC à Ottawa. Au fil du temps, les niveaux des anciens et des nouveaux contaminants chimiques sont comparés afin d’évaluer l’état actuel de l’exposition des espèces aux contaminants pouvant nuire à leur santé, ainsi que les mutations en cours dues à l’influence des changements climatiques. Robert ne fait pas cette recherche seul et reconnaît la contribution de son équipe de nombreux employés, étudiants et autres collaborateurs d’Environnement et Changement climatique Canada qui ont participé à ce travail au fil des ans.

Dans le cadre du Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord, qui relève de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Robert surveille les polluants organiques persistants, connus sous le nom de POP, qui comprennent les pesticides et les ignifuges, les métaux tels que le mercure, et les plastiques, qui constituent une nouvelle préoccupation dans l’Arctique. Ses travaux de recherche éclairent les décisions pour la gestion des espèces et évaluent l’efficacité des restrictions réglementaires internationales établies par la Convention de Stockholm (site en anglais seulement) et la Convention de Minamata sur le mercure. Il travaille en étroite collaboration avec ses homologues du Danemark et du Groenland, territoire abritant également des sous-populations d’ours blancs. L’un des plus proches collaborateurs de longue date de Robert dans le domaine de la recherche sur l’ours blanc était Markus Dyck, biologiste spécialiste des ours blancs au ministère de l’Environnement du gouvernement du Nunavut, décédé tragiquement dans un accident d’hélicoptère près de Resolute Bay en avril 2021. Markus partageait la même passion que Robert pour les ours blancs, et Robert lui a rendu hommage dans un article du Toronto Star (site en anglais seulement) : « Il [Markus] aimait les animaux (et surtout les ours blancs) et les espèces sauvages, et croyait vraiment en l’importance et en l’utilité de son travail » [traduction].

Robert est fier de faire partie de la longue histoire de la recherche sur l’ours blanc à Environnement et Changement climatique Canada, où sa passion pour le plein air et ses connaissances en chimie ont suscité chez lui une curiosité pour cet ours emblématique. « Les produits chimiques en question sont en grande partie d’origine humaine et constituent des facteurs de stress potentiels pour toutes les formes de vie dans le Nord, et peut-être encore plus pour les ours blancs, qui se trouvent au sommet du réseau trophique marin de l’Arctique », explique Robert. « Ce travail ne sera jamais terminé, nous devons rester vigilants et continuer à identifier et à surveiller le nombre et les niveaux croissants de produits chimiques qui atteignent le Nord et l’exposition des ours à ceux-ci. Cette mission est nécessaire à la mise en œuvre de mesures pour réduire au minimum, réglementer et éliminer l’utilisation des POP et d’autres produits chimiques tels que le mercure, qui sont une source de préoccupation dans l’Arctique et peuvent s’accumuler dans les tissus des ours blancs, d’autres espèces sauvages et des êtres humains. »